Doubs Loue, histoires croisées

Himala

Résumé du film

Réalisé par Jean-Philippe Macchioni, ce film est un documentaire de 53 minutes coproduit en 2011 par Vie Des Hauts Productions et France Télévisions. À partir d’images originales et d’archives, et en s’appuyant sur les interventions d’acteurs hétérogènes (chercheur en géologie, hydrogéologue, militant écologiste, technicien de l’Office National de l’Eau des Milieux Aquatiques), il nous invite à suivre le parcours de deux rivières emblématiques de Franche-Comté : le Doubs et la Loue. Si les parcours visuels et narratifs se font d’amont en aval et en passant alternativement d’une rivière à l’autre, il est également possible de résumer le propos de ce film en trois parties thématiques : la spécificité géomorphologique du bassin versant dans lequel ces rivières coulent, les différentes perturbations auxquelles elles sont soumises, et la diversité faunistique qu’elles abritent.

Évaluation critique

Dans ce film, le réalisateur nous invite à suivre le sens d’écoulement du Doubs et de la Loue à travers une multiplicité d’images (originales, archives de presse ou privées) et de plans (aériens, sous-marins, au téléobjectif) qui permettent au spectateur d’adopter différents points de vue sur ces rivières. Celles-ci sont en outre accompagnées d’une voix off qui nous a parfois semblé très, voire trop, présente.

Une première partie est consacrée à une présentation de la spécificité géomorphologique du bassin versant dans lequel circulent le Doubs et la Loue. Partant de l’action de l’eau dans la formation des paysages du massif jurassien et donc de la capacité des non-humains à « faire l’histoire » (Tsing, 2017), le documentaire met l’accent sur la structure karstique du sous-sol franc-comtois. Composé de nombreuses failles et galeries au sein desquelles s’engouffrent, se réunissent et transitent les eaux de surface, l’intérêt porté à celui-ci permet alors au spectateur d’apprendre que ces deux rivières partagent une seule et même source. Après un écoulement de plusieurs kilomètres, une partie de l’eau du Doubs s’infiltre en effet dans le sous-sol avant de ressurgir dans une autre vallée et de donner naissance à la Loue. Plus encore, le documentaire rappelle que cette connaissance de la connexion hydraulique entre le Doubs et la Loue est liée à l’incendie d’une distillerie en 1901 et le déversement de plusieurs milliers de litres d’absinthe dans la partie amont du Doubs. On regrette cependant qu’un tel événement soit abordé de façon anecdotique tant il est un exemple pertinent et original pour développer l’idée que l’eau et les rivières sont des hybrides de « nature-culture » (Van Aken & Casciarri, 2013).

Il convient également de rappeler que ce documentaire a été réalisé en 2011, dans le contexte d’importants épisodes de mortalité piscicole et de vives tensions entre des acteurs hétérogènes (pêcheurs, agriculteurs, représentants de l’État et des collectivités territoriales, etc.) concernant « la pollution » des rivières comtoises (Calla, 2019). Abordé dans la deuxième partie du film, c’est probablement son point central et on comprend pourquoi l’expérience de son visionnage laisse le sentiment que le réalisateur poursuit également un objectif de sensibilisation du grand public à la nécessité de préserver le Doubs et la Loue. De ce point de vue, le documentaire fournit un panorama complet des différentes perturbations auxquelles sont sujettes ces deux rivières. Concernant la Loue, il est question : des rejets agricoles et domestiques qui importent des nutriments et favorisent les développements algaux ; et des transformations du climat qui conduisent à des modifications de leur température et de leur débit. Pour ce qui est du Doubs, le film aborde surtout : l’activité des barrages hydroélectriques dont les imposants « lâchés d’eau » nuisent à la survie des peuplements de poissons et de la petite faune de la rivière ; et les rejets liés à certaines activités industrielles comme l’automobile ou la papeterie. La distinction entre les perturbations de la Loue et du Doubs est un choix narratif du réalisateur qui présente l’intérêt de resituer chacune de ces rivières dans le contexte de son propre sous-bassin versant. Mais ce faisant, le risque est d’y voir des spécificités plus que des perturbations partagées dans des proportions différentes.

Par ailleurs, en miroir de l’exposition des perturbations auxquelles elles sont soumises, l’intérêt du film est également de montrer que ces deux rivières ont fait et font l’objet d’une importante mobilisation de la part des milieux associatifs ainsi que des pouvoirs publics. Même si c’est de façon relativement inégale, il revient alors sur les différentes formes d’action – manifestations, réunions publiques, pêches d’inventaire, « plan de sauvetage », travaux de « renaturation » – mises en œuvre depuis les années 1970 dans le but de préserver leur qualité. Partant de là, le film s’oriente vers une troisième partie au ton bien moins dramatique et davantage bucolique. Focalisée sur les basses vallées de la Loue et du Doubs, elle prend la forme d’un inventaire naturaliste de la diversité faunistique – dans et hors de l’eau – qu’abritent ces portions décrites comme moins modifiées par l’Homme et moins sujettes aux perturbations. L’évaluation de cet aspect du film documentaire est ici limitée en raison de notre formation de sociologue et non d’écologue. Toutefois, on pourra s’étonner de la place importante accordée aux oiseaux en comparaison des autres non-humains, qu’ils soient vus à l’écran, mentionnés par la voix off ou tout simplement écartés du propos.

Si le film remplit à notre sens son objectif de présentation du Doubs et de la Loue et permet en même temps de mieux comprendre certains des enjeux relatifs à la préservation de leur qualité, il comporte toutefois deux principaux points problématiques. Premièrement, si grâce à des images originales ou d’archives, le réalisateur présente les témoignages de différents acteurs concernés par la situation du Doubs et de la Loue, on regrette la faible place accordée à ces discours et l’absence de leur analyse. Plus encore, le spectateur informé et soucieux d’une forme de rigueur scientifique dans l’approche du sujet sera déçu par le fait que le documentaire ne donne pas la parole à une plus grande diversité d’acteurs concernés par les perturbations évoquées (spécialement des agriculteurs, des gestionnaires de barrages, etc.) et que des points de vue contradictoires ne soient pas systématiquement présentés. Si le Doubs et la Loue ont bien « des histoires croisées », le film ne croise malheureusement pas les regards – socialement situés – de ceux qui entretiennent des relations avec ces rivières. Deuxièmement, il nous a semblé dommage que la partie développée autour des perturbations auxquelles le Doubs et la Loue sont soumises n’ait pas été davantage approfondie. Pourtant, le contexte particulier dans lequel le film a été réalisé était une bonne invitation pour explorer la complexité des enjeux et des tensions qu’elles sous-tendent. Faute de cela, les perturbations sont trop vite abandonnées au profit d’un propos naturaliste dont le réalisateur est familier (en effet, Jean-Philippe Macchioni est réalisateur caméraman de documentaires animaliers). Cela vient atténuer l’effort de mise en intrigue effectué autour des épisodes de mortalité piscicole et la promesse qui en découle « tombe à l’eau ». Plus encore, ce basculement tend, de façon trop symétrique, à opposer les perturbations issues des activités humaines à une nature généreuse qu’il est nécessaire de préserver. Le film contribue ainsi à alimenter une vision des rivières qui est empreinte d’un « Grand Partage » entre « Nature » et « Culture » (Descola, 2005; Latour, 2004). Malgré tout, c’est peut-être cela qui l’aide remplir son objectif de sensibilisation.

Simon Calla

Bilbiographie

Calla, S. (2019). Des poissons, des hommes et des rivières. Sociologie d’un problème de pollution en Franche-Comté. Université de Bourgogne Franche-Comté.

Descola, P. (2005). Par-delà nature et culture. NRF : Gallimard.

Latour, B. (2004). Politiques de la nature : Comment faire entrer les sciences en démocratie. Découverte.

Tsing, A. L. (2017). Le champignon de la fin du monde : Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme.

Van Aken, M., & Casciarri, B. (2013). Anthropologie et eau(x). Association Française des Anthropologues.

 

 

Additional Info

  • Director: Jean-Philippe Macchioni
  • Producer: Vie des Hauts production
  • Language: French
  • Year: 2013
  • Duration (min): 52
  • Theme: Dams, Water quality, pollution, Groundwater, Rivers, Water cycle & hydrology, Aquatic ecosystems
  • Access: Free
  • Country: France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 3
  • Academic quality: 2
  • Social interest: 4.5