Synopsis/contenu du film
Si environ 27% des côtes françaises subissent une érosion, 10% par contre progressent sur la mer par accumulation de sable. Ces dynamiques multiples qui touchent le littoral rendent cette zone très vulnérable et difficile à gérer ce qui soulève bon nombre de questions scientifiques mais aussi sociétales, politiques et économiques comme le montre ce documentaire – Entre mer et Terre –, produit par le CNRS et le BRGM en 2016.
Les scientifiques exposent d'abord les particularités du littoral français en termes de fonctionnement (physique, mécanique, sédimentaire...), qui expliquent pourquoi il est difficile de répondre aux problèmes qu'il pose. La première particularité repose sur la variété des environnements qu'il recouvre, à savoir des plages de sable, des falaises et des estuaires qui, de par leur morphologie même, évoluent de façon différente. Ceci implique que les outils utilisés pour les observer, les mesurer et les préserver doivent être spécifiques. La principale difficulté repose cependant sur le fait que le littoral est un environnement en perpétuelle évolution et particulièrement mobile. Les falaises par exemple reculent de 20 à 30 cm par an sous l'action de l'eau ou de la gravité alors que les plages peuvent reculer de plusieurs dizaines de mètres lors d'intempéries ou, sur le long terme, ré-avancer sur la mer. On comprend alors la difficulté qu'il y a à définir le trait de côte et que sa définition nécessite à la fois le choix d'une échelle de temps et d'espace.
A partir d'exemples concrets du littoral français, sont ensuite présentés la plupart des dispositifs utilisés depuis les années 70 pour tenter de stabiliser le trait de côte. Que ce soit des protections comme les digues ou plus douces comme les géotextiles, tous sont abordés non seulement du point de vue de leur intérêt mais aussi des conséquences négatives qu'ils peuvent engendrer sur l'environnement. Le documentaire nous permet de découvrir comment les scientifiques de différentes disciplines relèvent les mesures puis traitent les données et ce, en recourant souvent à une technologique de pointe, permettant ensuite d’établir des cartographies en 3D. Car le but recherché est à l'heure actuelle de comprendre mais aussi de suivre l'évolution du littoral sur le long terme.
Ceci est d'autant plus important qu'outre les enjeux environnementaux, la dynamique du littoral révèle aussi des enjeux sociétaux, puisque de plus en plus de population s’installe à moins de 25 kilomètres du littoral. C'est pourquoi un travail interdisciplinaire, mais prenant aussi en compte tous les acteurs du territoire, semble nécessaire pour relever les différents défis que soulève la gestion du littoral, comme cela a été fait lors du projet COCORISCO. Une gestion qui doit, selon les scientifiques, prendre en compte les enjeux environnementaux mais aussi les mesures d'aménagement, les lois et même les représentations environnementales des habitants. Si l’on se rend compte désormais, au vu des expériences passées, qu'une protection définitive des littoraux n'est pas envisageable, on comprend qu'une gestion continue, adaptative, flexible, sur le long terme, est nécessaire. Ceci est d'autant plus important face au défi que représente désormais le changement climatique.
Analyse critique
Le fait que ce documentaire ait été produit par le CNRS et le BRGM explique peut-être que plus que la forme, qui revêt une grande importance pour les documentaires destinés au cinéma ou à la télévision, c'est ici le contenu qui va être important. Ce qui est le cas, car ce documentaire s'appuie sur les dernières données scientifiques issues de toutes les disciplines qui travaillent sur les problématiques du littoral.
Sa force principale est en outre de servir son propos par les interviews qu'il présente. La ligne directrice qu'il suit est en effet assez simple. San recourir à un présentateur, les réalisateurs font intervenir tous les experts issus des disciplines qui étudient du littoral, qui vont successivement venir compléter les informations en expliquant l'apport de leurs disciplines. Aussi, quand après une présentation des différents environnements littoraux français et des problématiques liées aux aménagements, le film souligne l'interdisciplinarité nécessaire à ce sujet d'étude, l’évidence s'impose au vu de tous les experts qui sont intervenus. Le propos rejoint celui des chercheurs actuels qui montent de plus en plus la nécessité de construire des projets interdisciplinaires, n'hésitant pas à mêler les regards venus de toutes les sciences, comme par exemple la géologie et la sociologie dans le cas d'une étude menée à Carry- le-Rouet (Claeys, 2017). Car « il apparaît important de mobiliser l’ensemble des forces pour progresser dans la connaissance des processus régissant ce système complexe et vulnérable » (BRGM, CNRS et IFREMER, 2017). Le documentaire aboutit même à la conclusion qu'il faut penser la gestion du littoral en tenant compte de tous les acteurs du territoire, comme les maires etc., qu'on interviewe en dernière partie, peut-être pour conclure sur le fait que toutes les recherches scientifiques seront finalement au service des gestionnaires de ces espaces.
L’intervention des différents experts permet par ailleurs de présenter une vision globale des problématiques liées à la dynamique du littoral. On appréhende ainsi mieux la complexité des solutions à élaborer, comme parfois pour pallier aux effets négatifs, souvent inattendus, des aménagements qui ont été réalisés depuis les années 70. Le documentaire est riche d'exemples à ce sujet et rejoint ce que constatent d'autres chercheurs depuis les années 80. « La réalisation d’ouvrages tels que les digues, les terre-pleins gagnés sur la mer et les ports constitue une menace importante pour les milieux côtiers, et en particulier pour les herbiers à Posidonia oceanica », nous dit Astier (1984). « La construction de tout ouvrage qui avance dans la mer (port, digue perpendiculaire au rivage) détermine un déplacement du courant vers le large, avec hypersédimentation en amont et érosion en aval », montrent quant à eux Blanc et Jeudy de Grissac (1989). Devoir tenir compte des effets potentiels des aménagements est maintenant une problématique présente dans tous les projets, comme Abreu et al. (2020) nous le montrent au sujet des Baléares. Si l’on aurait pu craindre par contre que les informations soient trop complexes car transmises par les scientifiques eux-mêmes, on note qu'elles sont au contraire adaptées au grand public. Le documentaire présente ainsi une lecture à double niveau, reposant sur un bon équilibre entre discours scientifique et vulgarisation scientifique. A part une voix off qui apparaît par moments mais qui est globalement peu présente, le fait que ce soient les scientifiques eux-mêmes qui parlent présente aussi l'avantage qu'on évite l’instauration de filtres pouvant déformer les réalités scientifiques abordées.
Tout au long du documentaire, les dynamiques du littoral sont illustrées à travers une grande diversité de paysages côtiers, ce qui semble être un avantage pour leur compréhension. Cependant, avec du recul, on peut déplorer un manque de profondeur par rapport à chaque notion abordée. On notera aussi que des trois grands types d’environnements littoraux français présentés au début du documentaire seulement deux sont abordés, à savoir les plages et les falaises. Un point fort de ce documentaire repose par contre sur la diversité des méthodes présentées, dont la compréhension reste accessible aux non-initiés du fait de ne pas rentrer dans des détails techniques trop complexes. Cela concerne à la fois la collecte des mesures et leur traitement et analyse. Si l'on peut relever parfois un manque d’homogénéisation dans le format des images, ceci l’altère cependant pas la qualité du documentaire.
Enfin on comprend que la difficulté que présentent l'étude et la gestion du littoral ne peut que s'accroître avec le changement climatique. En effet, si l'on en croit les chercheurs, les dynamiques du littoral ne vont aller qu'en s'accentuant. Ainsi le GIEC estime que le niveau de la mer pourrait atteindre une augmentation de +35 centimètres à +1 mètre à l’horizon 2100 (Lecacheux et al., 2011). De plus, les prédictions sur l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère et sur la hausse du niveau des océans montrent une tendance à l’accélération des problématiques liées au littoral (Smith et al., 2015). Les actions coordonnées de tous les chercheurs et acteurs du territoire ne seront donc pas de trop, comme le souligne le documentaire, pour essayer de pallier ou prévenir les effets de ces phénomènes.
(Avec la contribution de Elise Banton et Jade Allemand)
Références bibliographiques
Abreu T., Parreño-Mas B et Pinto-Faria J. (2020) Coastal management risk analysis of an embayed beach in Majorca island. SN Appl. Sci. https://doi.org/10.1007/s42452-020-03325-6
Astier J-M. (1984) Impact des aménagements littoraux de la rade de Toulon, liés aux techniques d’endigage, sur les herbiers à Posidonia oceanica. In: Boudouresque C.F., Jeudy de Grissac A., Olivier J. (Eds), International Workshop on Posidonia oceanica beds, GISPosidonie publ., Fr., 1: 255-259.
Blanc J.J., Jeudy de Grissac A. (1989) Réflexion géologique sur la régression des herbiers à Posidonies (départements du Var et des Bouches-du-Rhône). In: Boudouresque C.F., Meinesz A., Fresi E., Gravez V. édits. Second international Workshop on Posidonia beds, GIS Posidonie publ., Fr., 2: 273-285.
BRGM, CNRS, IFREMER. (2017) Atelier « Prospectives autour du littoral » du 4 et sept 2017. Paris.
Claeys C et al. (2017) Une analyse interdisciplinaire des vulnérabilités socioenvironnementales : le cas de falaises côtières urbanisées en Méditerranée. Nature Sciences Sociétés, p.241.
Lecacheux S-R., Pedreros E., Devallée B., Poisson et Garcin M. (2010) Evaluation simplifiée de la submersion marine à l'échelle du Languedoc-Roussillon. Rapport du projet ANR Miseeva. Orléans.
Smith S.J., Edmonds J., Hartin C.A., Mundra A. et Calvin K. (2015) Near-term acceleration in the rate of temperature change. Nature Clim. Change, no 5, p.333-336.
