Indonésie, l’archipel englouti

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Synopsis/contenu du film

Ce documentaire réalisé en 2020 par Envoyé spécial avec Raphaële Schapira, Mathieu Dreujou et Adrien Bellay traite de l’archipel Indonésien qui est le plus grand et le plus peuplé au monde. Depuis quelque temps, les populations sur la côte nord de l’île de Java font face à un engloutissement progressif par les eaux. Tout au long du documentaire, de multiples causes sont mises en avant telles que le réchauffement climatique (avec une hausse du niveau des mers), le pompage excessif dans les nappes phréatiques pour les besoins en eau (qui génère des affaissements conséquents au niveau des sols) ou encore un développement industriel important. La journaliste et son équipe voyagent sur la côte nord de l’île de Java pour interroger les différents acteurs locaux qui sont confrontés aux problèmes de montée des eaux et d’affaissement du sol. On découvre que les habitants des petits villages isolés comme Bedono vivent au gré des marées. Ainsi, certaines maisons sont surélevées et parfois uniquement accessibles en bateau, mais bon nombre d’entre elles sont progressivement englouties par les flots. Par ailleurs, les effets constatés sont nombreux aussi bien dans les villages isolés que dans la capitale Jakarta. On découvre ainsi, par exemple, que dans certaines écoles les enfants sont habitués à suivre les cours les pieds dans l’eau, une eau bien souvent stagnante. Les Indonésiens doivent également faire face à des effets indirects tels que des épidémies de dengue, typhoïde ou leptospirose engendrées par les eaux stagnantes et les déchets déposés par la marée. Dans les villages isolés comme dans la capitale, les habitants luttent comme ils peuvent contre ce phénomène d’engloutissement. Les habitants les plus vulnérables à Bedono comme à Jakarta n’ont pas nécessairement les moyens de quitter leur domicile et tentent de construire des digues ou de planter de la mangrove pour limiter l’impact des vagues. Le gouvernement Indonésien prévoit par ailleurs de délocaliser progressivement Jakarta dans un endroit encore vierge sur l’île de Bornéo et  de « délaisser l’ancienne capitale ». De manière générale, ce documentaire nous présente le contexte géographique et socio-économique des habitants, il dresse un constat sur l’impact de ces phénomènes sur la vie quotidienne des habitants et sur les conséquences pour l’ensemble du pays.

Analyse critique 

Dans ce documentaire, les journalistes émettent un constat opposant l’homme à la nature, et au pouvoir inexorable de la montée des eaux. Le champ lexical (village « attaqué par la mer », habitants considérés comme des « naufragés », « île en train de couler », …) employé à cette fin a tendance à jouer sur notre corde sensible en dressant un portrait misérabiliste des populations affectées. Le constat alarmiste du documentaire face à la « lutte quotidienne pour survivre » contraste avec un passage où la journaliste évoque que « la vie semble continuer comme si de rien n’était ». Nous notons ainsi l’aspect performatif du documentaire qui reproduit une image, souvent véhiculée dans les médias, de Bedono comme étant au front de la lutte contre le changement climatique, ses habitants étant déjà certainement habitués à se donner à voir sous cette image. Nous pouvons constater cela dans le discours contradictoire des habitants de Bedono affirmant ne recevoir aucune aide tandis que nous assistons à la mise en place de digues en bambou grâce à l’aide d’une ONG hollandaise dans la seconde moitié du film.

Bien que la principale cause de l’affaissement du sol soit les pompages dans les nappes phréatiques, le reportage ne s’attarde pas sur la construction de nombreux puits illégaux. Les habitants rappellent par ailleurs que ces pompages sont essentiels pour subvenir à leurs besoins non satisfaits par la desserte publique en eau potable. En effet, la demande en eau a augmenté avec l’évolution démographique et le développement industriel en Indonésie.

La focale du documentaire sur le vécu, la vulnérabilité et la résilience des populations affectées tend à éluder les causes de la submersion de ces territoires. Sur l’ensemble des personnes interviewées, un seul ingénieur de la métropole présente son point de vue, le reste étant des habitants des quartiers affectés. Le documentaire semble effectuer un raccourci explicatif en mettant sur le même plan la digue en bambou de Bedono et la digue en béton de Jakarta. L’intérêt du premier étant de limiter l’érosion côtière tandis que celui du deuxième est de maintenir l’eau en dehors de la ville. Le spectateur a ainsi du mal à comprendre le rôle que joue le pompage des eaux souterraines dans l’affaissement de Bedono, car sans faire la distinction entre pompage de surface et profond, le film ne nous permet pas de distinguer l’influence des cônes d’affaissement dus aux industries côtières et ceux dus au pompage pour l’approvisionnement domestique.

Le reportage ne met pas particulièrement en avant le fait que le gouvernement indonésien lutte depuis plus de 20 ans contre ce phénomène de submersion, par des mesures telles que le dragage et l’élargissement des cours d’eau, ou encore des plans de réduction de l’utilisation de l’eau souterraine par la tarification dans le but de développer de nouvelles sources alternatives. Les solutions montrées dans le film peuvent parfois nous laisser sceptiques car il s’agit principalement de traiter les symptômes (constructions de digues, relocalisations plus loin dans les terres ou petits aménagements dans les maisons) plutôt que la cause même du problème. Par exemple, le projet de l’Etat à plus de 30 milliards d’euros sur la délocalisation de la capitale semble irréaliste, d’autant plus que c’est toute la côte Nord de l’île de Java qui est impactée par la montée des eaux et que beaucoup d’habitants n’auront pas les ressources financières pour se déplacer.

Les reporters omettent d’aborder la question des intérêts politiques et financiers derrière la présentation succincte de ces projets à l’apparence utopique, à savoir l’influence de grands groupes de construction dans le but d’obtenir des contrats importants ainsi que le scandale de corruption qui a émergé en 2016 autour des projets proposés pour la côte de Jakarta. Les chercheurs et membres de la société civile qui remettent en cause la pertinence de ces mégaprojets dont la justification s’appuie bien souvent sur une vision dépolitisée des catastrophes sont absents dans ce reportage. Dans l’ensemble, le reportage semble avoir principalement le but « de sensibiliser les esprits » des spectateurs quant au sort de l’Indonésie lié en partie au réchauffement climatique qui entraîne cette montée des eaux. Il nous montre l’impact du problème au quotidien, de façon directe (eau stagnant quotidiennement dans les maisons) tout comme indirect (exode des populations et épidémies qui s’ensuivent). Il est relativement court et se veut neutre et accessible à un large public, il ne peut donc pas aborder de façon détaillée l’ensemble des problématiques complexes du sujet et tend en particulier à souligner l’importance de l’élévation du niveau de la mer alors que celui-ci  a un impact secondaire par rapport à l’affaissement des sols. En revanche, malgré la faiblesse des aspects scientifiques et politiques, le principal intérêt du film est de décrire l’impact de la submersion sur la vie des populations et de nous faire prendre conscience de l’ampleur du problème.

(Avec des contributions de Hugo Landolfi et Samuel Bitaud)

 

Références

Colven, Emma. 2017. “Understanding the Allure of Big Infrastructure: Jakarta’s Great Garuda Sea Wall Project” 10 (2): 15.

Octavianti, Thanti, and Katrina Charles. 2018. “Disaster Capitalism? Examining the Politicisation of Land Subsidence Crisis in Pushing Jakarta’s Seawall Megaproject” 11 (2): 27.

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/asie-du-sud-est/articles-scientifiques/politiques-de-l-eau-et-pauvrete-a-jakarta

https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/aux-philippines-ces-villages-qui-s-enfoncent-inexorablement-dans-le-sol_133784

https://www.nytimes.com/interactive/2017/12/21/world/asia/jakarta-sinking-climate.html

https://www.neonmag.fr/rechauffement-climatique-dans-le-village-englouti-par-la-montee-des-eaux-538348.html

https://www.courrierinternational.com/article/environnement-en-indonesie-la-mer-monte-et-les-iles-disparaissent

https://www.thejakartapost.com/news/2020/01/15/two-islands-vanish-four-more-may-soon-sink-walhi-blames-environmental-problems.html

https://www.nationalgeographic.fr/environnement/environnement-jakarta-senfonce-de-30-centimetres-par#:~:text=Jakarta%2C%20la%20capitale%20indon%C3%A9sienne%2C%20s,eaux%20et%20au%20changement%20climatique.&text=Selon%20The%20Jakarta%20Post%2C%20capitale,par%20an%20dans%20les%20eaux.

https://www.futura-sciences.com/planete/breves/rechauffement-climatique-deux-iles-sumatra-definitivement-englouties-eaux-1802/

https://www.lci.fr/planete/video-face-a-la-montee-des-eaux-jakarta-demenage-2142978.html

https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/indonesie-jakarta-bientot-demenagee-a-cause-de-la-montee-des-eaux_3673919.html

 

 

Additional Info

  • Director: Envoyé spécial (Raphaële Schapira, Mathieu Dreujou et Adrien Bellay)
  • Producer: France télévisions
  • Language: French
  • Year: 2020
  • Duration (min): 32
  • Theme: Climate change, Coastal areas, Water governance, Sustainability, Flood
  • Access: Free
  • Country: Indonesia
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 3
  • Social interest: 4.5