Gabes Labess : A Gabès tout va bien ! All is well in Gabes

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Synopsis

Ce film est un documentaire d’une durée de 45 mn qui présente une analyse critique du modèle de développement adopté dans les années 1970 pour la modernisation de l’économie de la région de Gabes, ville côtière du Sud-Est tunisien. Le réalisateur, le géographe Habib Ayeb, fait cette démonstration à travers la mise en avant des impacts qu’a générés l’installation d’un pôle d’industrie chimique dans le golfe de Gabes sur l’écosystème oasien en particulier et sur l’ensemble de l’environnement de la région. On suit alors la démonstration à travers une série de portraits et d’interviews portant à la fois sur les agressions subies par l’oasis elle-même, mais aussi de manière plus large, par l’ensemble des écosystèmes de la région y compris les zones agricoles en dehors de l’oasis ainsi que sur les ressources halieutiques dans le golfe et la qualité de vie dans la région de manière générale.

Ainsi tout au long d’une dizaine d’interviews le spectateur acquiert une idée assez claire des dégradations subies par l’environnement que ce soit en terme de biodiversité et de perte de pratiques culturales et savoir-faire, ou en terme de possibilité d’extension des activités agricoles dans les zones proches de l’oasis qui ont été compromises du fait de la raréfaction des ressources en eau souterraines, mais aussi du fait de la pollution atmosphérique qui émane des cheminées des usines et qui rendent l’air, mais aussi le sol et l’eau, impropres à tout usage agricole.

La pollution touche aussi les fonds marins en mettant en péril les prairies de posidonie qui servaient de frayères pour une multitude de variétés de poissons. En effet, le déversement du phospho-gypse issu de la transformation du minerai de phosphate en phosphate triacide depuis des décennies a réduit comme peau de chagrin les posidonies, réduisant ainsi les stocks de poissons et les potentialités de pêche pour pêcheurs artisanaux.

Les témoignages sont de fait édifiants et parfois poignants et convergent tous sur l’idée d’un paradis perdu ("Gabes était le paradis du monde") et que cette perte est due aux choix faits à la fin des années 1960 et dont les impacts sur les ressources en eau et en terme de pollution n’avaient pas été anticipés, laissant croire à la population que le pôle industriel allait offrir à leurs enfants des emplois stables et rémunérateurs et donc les sortir de la précarité.

Cette perte est d’autant plus grave, du point de vue des acteurs mais aussi du réalisateur, que Gabes représente l’unique oasis littorale dans le monde et que sa dégradation et son rétrécissement sous la pression urbaine constituent une perte pour toute l’humanité.

On apprend enfin que ceux qui ont les moyens matériels ont pu faire face à la situation dans les oasis en délocalisant leurs activités agricoles dans la steppe alentour mettant à profit les aides de l’état pour développer une agriculture moderne mobilisant les ressources d’eau souterraine, aggravant d’autant plus la pression sur celles-ci.

Cela permet alors au réalisateur de clore le documentaire par la mise en opposition des petits paysans pauvres et sans ressources foncières pour lesquels rien ne va et ces capitalistes, qui viennent d’on ne sait où et pour lesquels tout va bien (Labess).

Analyse critique

Il est indéniable que la dégradation de l’écosystème oasien est un fait et qu’elle est en partie la conséquence de la raréfaction des ressources en eau dont l’usage fait l’objet d’une concurrence forte entre l’oasis, qui était pratiquement l’unique usage avant l’installation de l’industrie chimique, et les besoins de cette industrie ainsi que l’usage domestique en croissance avec l’urbanisation.

Mais cette dégradation est aussi le résultat des formes multiples de pollution : rejets de particules fines dans l’atmosphère, rejet des phosphogypses dans le milieu marin, etc. La conjonction de la raréfaction de l’eau et de la pollution atmosphérique et hydrique s’est traduite par une perte de l’activité agricole dans l’oasis et par la dégradation de l’environnement et donc des conditions de vie, voire de la santé de la population.

Toutefois, la manière dont sont présentés les évènements laisse croire que la situation avant la mise en place du complexe chimique était idyllique et que le projet de développement est la cause principale des dégradations. Ainsi, l’insistance de la voix off (celle vraisemblablement du réalisateur) pousse les interviewés à plusieurs reprises à la remise en cause de la conception de la « modernisation » selon les autorités de l’époque, alors que, comme le laisse entendre un des interviewés, tout le monde croyait à cette époque à la pertinence de ce modèle de développement et à la nécessité de diversifier l’économie régionale et que le pôle de développement industriel (théorie dominante dans les années 1960-70) constituait une solution aux problème de pauvreté et de chômage que connaissait la région à l’époque.

Cette présentation chercherait à nous faire croire que toutes les dégradations sont le fait de l’industrie et de son accaparement des ressources en eau de la région. Or deux éléments ne sont pas bien pris en compte dans le documentaire. Le premier concerne l’impact de la croissance démographique et donc urbaine qui concurrence l’oasis sur l’affectation de l’eau, mais qui mite de l’intérieur l’oasis réduisant ainsi sa superficie de près de moitié entre les années 1990 et 2014. Le second élément se rapporte au procès qui est fait à des choix qui datent des années 1970 d’un modèle de développement qui a opté pour l’industrialisation et pour la valorisation des produits miniers dans les pays avant leur exportation.

Ce choix qui faisait l’unanimité à l’époque s’est avéré en effet désastreux, plus pour des raisons de manque de vigilance et de prévention des externalités négatives que pour des raisons propres au choix lui-même.

Quant à la pression urbaine et la croissance démographique, sa présentation peut sembler biaisée, car même si certains interviewés ont bien expliqué la progression urbaine, cela est fait de manière à faire apparaitre l’abandon de la terre et son affectation à un usage résidentiel comme étant la conséquence de la dégradation de l’oasis elle-même et donc de la perte de son attractivité économique en tant que source de revenu et de sécurité alimentaire pour les populations locales.

Or le mitage du milieu oasien par des résidences principales, voire secondaires, ou encore des lieux de récréation, n’est pas le résultat de la dégradation du milieu, mais bien une des causes de cette dégradation en réduisant l’espace agricole et en encourageant certains spéculateurs à laisser en jachère les terres en leur propriété, la pression urbaine réduit la surface dédiée à l’agriculture dans les oasis et contribue à la perte de biodiversité.

Mohamed Elloumi

 

Additional Info

  • Director: Habib Ayeb
  • Producer: Les productions de l’Amaru (France) et 5/5 Production (Tunisie)
  • Language: French, Arabic
  • Year: 2014
  • Duration (min): 45
  • Theme: Water scarcity, Environmental degradation, Irrigation & agricultural water management, Water quality, pollution, Coastal areas, Groundwater, Fisheries, Water governance, Water and health, Sustainability
  • Access: Free
  • Country: Tunisia
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 3.5
  • Academic quality: 3
  • Social interest: 4