Je suis le fleuve

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Synopsis/Contenu du film

 

Le documentaire Je suis le fleuve, sorti en 2021 et raconté à la première personne par le réalisateur Matthieu Frison relate, à la manière d’un carnet de voyage, l’histoire de sa quête en Nouvelle Zélande, sur les traces de la déclaration d’entité vivante du fleuve Whanganui par le gouvernement néo-zélandais.

Le film commence par un arrêt à Wellington, la capitale de la Nouvelle Zélande où il visite le musée sur l’histoire du pays. Il en profite pour faire un historique des relations entre le Royaume-Uni, pays colonisateur, et les Maoris, la population autochtone. On apprend que dans la culture Maori, il n’y a pas de notion de propriété individuelle, les terres étaient gérées en commun selon un principe de droit d’usage au niveau de la tribu.

Il se tourne ensuite vers l’actualité récente. Au terme des négociations entre le gouvernement et les maoris qui ont duré 170 ans, le statut de personnalité juridique a été attribué au fleuve Whanganui. Pour comprendre cette décision, il donne la parole à l’ancien ministre chargé des affaires maoris qui explique la vision du monde des maoris qui vivent sur le fleuve, illustré par un dicton “je suis le fleuve et le fleuve est moi”. Une des inspiration de l’auteur a été le travail de Christopher Stone, juriste émérite de l’université de Californie du sud, qui proposa en 1972 d’accorder des droits aux arbres, et par extension aux éléments naturels. Il plaide pour que le droit ne voit plus la nature comme un ensemble d’objets inertes utiles et que l’on change radicalement la manière dont on perçoit “notre” place dans la nature. Il pointe un paradoxe : les entreprises peuvent avoir une personnalité juridique mais pas la nature.

Il décide ensuite d’aller à la rencontre du fleuve Whanganui et de sa population. Il se rend tout d’abord à la ville de Whanganui, à 3 heures de Wellington. C’est dans cette ville que le fleuve se jette dans la mer. Il tente de se mettre dans la peau des maoris pour comprendre le phénomène de crue du fleuve qu’il observe : “Si le fleuve est une personne, est-il en colère, souffrant ?”. Il remonte le fleuve vers l’amont avec l’objectif de s’entretenir avec les habitants des berges du fleuve. L’un d’eux énonce que “la rivière est notre sang. Elle coule en nous, elle coule autour de nous, elle coule de la montagne à la mer, comme le sang coule dans notre corps”. Telle est la relation des Maoris avec le fleuve, qui dépasse le dualisme nature-culture. On réalise que la qualité du fleuve a été grandement dégradée à cause de barrages et de travaux visant à la canaliser, en ne respectant pas son circuit naturel. Il mobilise des archives pour expliquer comment s’est réalisée la lutte pour le fleuve.

Le réalisateur rencontre ensuite des maoris qui l’invitent à un voyage en canoë qui s’apparente à un voyage initiatique pour retrouver les traditions maoris en lien avec le fleuve. L’objectif est de créer une connexion durable “de l’homme à l'environnement et de l’environnement à l'homme”, et d’assurer la transmission culturelle en écoutant les histoires des anciens tout au long du voyage en canoë.

Il finit le film en explorant les possibilités d'une telle décision en France. Il interview ainsi Valérie Cabanes, spécialiste du droit de l’environnement. Elle insiste sur le fait que l’objectif est de donner aux écosystèmes le droit inaliénable d’exister. Selon elle, le droit de la nature doit préexister et garantir les droits humains et le droit économique doit s'assujettir à ces deux niveaux de droit (Cabanes, 2016). Il finit sur une note sensible, qui laisse entrevoir ce que pourrait être notre nouvelle relation à l’environnement.

Analyse critique

Le réalisateur fait le choix délibéré de romancer l’histoire de cette loi. La fin du film, qui montre une juriste française qui défend la mise en place de texte similaire en Europe, laisse peu de doute sur la position du réalisateur et l’objectif de ce documentaire : toucher le spectateur par une histoire d’un processus législatif réussi qui témoigne d’un dialogue entre cultures très différentes, pour susciter le désir de porter des initiatives similaires dans d’autres contextes. Pour cela, il n’hésite pas à recourir à des mécanismes cinématographiques destinés à émouvoir le spectateur. Le choix de présenter tout le documentaire à la première personne et le format s’apparentant à un carnet de voyage contribuent à créer une identification du spectateur au réalisateur. La musique, elle aussi, est au service d’une identification aux peuples autochtones et au fleuve, ce qui apporte un supplément d’émotion aux scènes.

Cependant, le choix de faire de ce texte de loi un exemple à suivre dans l’évolution des réglementations environnementales ne peut se faire qu’au détriment d’une analyse critique de ce texte et de la situation complexe en Nouvelle-Zélande. Les points de vue des personnes interviewées ne sont pas très diversifiés, et le réalisateur s’est essentiellement concentré sur la culture maori et son lien avec le fleuve.

Ainsi, le documentaire passe relativement sous silence les difficultés qui ont nécessairement accompagnées l'élaboration de cette loi, tout comme les impacts concrets de ce texte sur la réglementation néo-zélandaise et les bénéfices réels pour la santé du fleuve. Par ailleurs, le fait de focaliser le documentaire sur le fleuve Whanganui donne l’impression qu’il concentre l’ensemble des revendications des peuples autochtones, alors que la situation réelle est évidemment plus complexe.

Il y a peu de détails sur l'évolution des négociations et les conflits qu’il y a pu avoir entre des acteurs aux intérêts divergents. Ici la volonté de raconter une “belle histoire” qui marque une forme de réconciliation entre les “colonisateurs” et les peuples autochtones impose de passer sous silence les rapports de force qui ont nécessairement accompagné cette décision.

En particulier, le réalisateur annonce qu’il souhaite rencontrer le ministre qui fut chargé de cette loi pour faire la “genèse de cette situation”. Cependant, l’ancien ministre ramène la question à un débat de doctrine juridique, opposant la “vision maori du monde” à celle d’un juriste “anglo-saxon”. Le réalisateur fait le choix de ne pas questionner cette position ou de chercher des éléments complémentaires, ce qui ne permet pas de connaître les autres enjeux plus concrets qui ont accompagné cette décision (par exemple limiter l’action des barrages et les détournements du fleuve).

La loi a été promulguée en 2017 et le documentaire a été réalisé en 2021. Ce délai, bien que court, permet normalement d’avoir du recul sur les impacts de cette loi. Le documentaire ne s’attarde pas sur cet aspect. Pourtant les conséquences juridiques concrètes de la qualité de personne juridique pour un fleuve ne sont pas du tout évidentes à connaître, et nécessite une analyse précise et complexe de la réglementation néo-zélandaise. Comment les réglementations sur l’exploitation des barrages, sur les détournements de fleuves, sur les rejets ont été impactées par cette loi ? Le documentaire ne le dit pas alors que c’est pourtant à cela que doit se mesurer la victoire obtenue par les maoris.

Le documentaire, en se concentrant exclusivement sur le cas du fleuve Whanganui, a pour effet de restreindre les revendications des maoris à cette problématique. Pourtant, les différents témoignages proposés tout au long du film révèlent une discordance majeure entre les visions maoris et “occidentales” du monde qui ne peut pas se régler uniquement par l’attribution d’une personnalité au fleuve Whanganui, même si celle-ci peut avoir une grande importance. Encore une fois ici, la volonté de prendre la situation néo-zélandaise comme exemple à suivre pour les pays européens se fait au détriment d’une analyse plus fine des conflits et contextes locaux.

On pourra utilement comparer ce documentaire au film The river is me, produit par le média américain The Atlantic et réalisé par David Freid. Les images du fleuve Whanganui sont très belles ce qui fait penser que le budget de ce documentaire était plus conséquent, mais la durée (17 min) ne laisse pas assez de temps pour explorer l’historique de la décision. Par rapport au documentaire de Matthieu Frison, celui de David Freid apporte plus de diversité de points de vue, posant la question de l’acceptabilité publique d’une telle décision. Tout comme Matthieu Frison, avec la France, David Freid finit le film avec les possibilités d’application aux Etats-Unis en prenant les exemples de la pollution de l’eau à Flint, Michigan et la construction de la Dakota pipeline. À travers ces deux films, nous comprenons que la décision qui a été prise en Nouvelle-Zélande ouvre de nouvelles voies excitantes pour les défenseurs de l’environnement dans d’autres pays, en interrogeant la place que nous occupons au sein de celui-ci.

Pour conclure, ce film met en lumière de façon sensible l’exemple du fleuve Whanganui, qui fournit un exemple du dépassement de la dualité nature/culture. Cependant, l’objectif de Matthieu Frisson étant d’importer et de s'inspirer de cette loi en France, il met de côté les conflits et les intérêts divergents qui ont inévitablement accompagné l’élaboration de cette loi. En défendant ce point de vue, il transmet une vision assez unilatérale de la décision.

Contributions de Rebecca Peyriere et Esther Poulain

 

Autres films connexes

I am the river. the river is me

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/99-river

The rights of nature: a global movement

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/280-river2

 

Références 

Stone, C. (2022). Les arbres doivent-ils pouvoir plaider?. Le passager clandestin.

Cabanes, V. (2016). Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l'écocide. Média Diffusion.

Freid, D. (2018). The river is me. The Atlantic.

 

 
 

Additional Info

  • Director: Matthieu Frison
  • Producer: France 2
  • Language: French
  • Year: 2021
  • Duration (min): 45
  • Theme: Environmental degradation, Sustainability, Rivers, Water and community
  • Access: Free
  • Country: New Zealand
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 4