Le Jourdain : fleuve de la paix ?

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Synopsis/contenu du film

Ce documentaire de 52 min de la chaîne franco-allemande ARTE, paru en 2017, présente les enjeux liés au Jourdain, fleuve sacré et artère vitale du Moyen-Orient qui permet à près de 16 millions de personnes de subsister. Dans la vallée du Jourdain, zone très aride où les précipitations sont moitié moins importantes qu’en Europe centrale, l’accès à l’eau est un combat quotidien pour les habitants de la région. Le documentaire nous présente la vallée du Jourdain, du mont Hermon surplombant le plateau du Golan à la frontière d’Israël, la Cisjordanie et la Jordanie, jusqu’à la Mer Morte. Le Jourdain, après avoir traversé la vallée de la Houla, une zone humide au nord d’Israël avec de riches faune et flore, arrive au lac de Tibériade. Au-delà du lac, le Jourdain continue sa route entre la Jordanie et l’Israël pour terminer sa course dans la Mer Morte au sud de Jéricho en Cisjordanie. Cependant, l’avenir du fleuve est incertain et la Mer Morte est menacée d’assèchement. En effet, la vallée est sujette à l’agriculture intensive et à la croissance démographique et à présent l’écoulement de l’eau dans la mer morte est très amoindrie. Le fleuve, actuellement en très mauvaise santé, est vu comme une « piscine aménagée par l’Homme ». Il s’agit d’une ressource transrégionale commune aux différents Etats, et le partage de la ressource se fait de manière très illégale malgré les accords d’Oslo signé entre Israël et les palestiniens en 1993. La crise de l’eau s’aggrave avec la croissance démographique en Jordanie, l’un des pays les plus secs au monde. Le pays est rationné en eau, et les réserves ne suffisent pas, le pays est en situation de stress hydrique. Le manque d’eau s’additionne aux problèmes entre la Palestine et l’Israël depuis la création de l’état d’Israël en 1948 ce qui ne cesse de provoquer des conflits.

À travers ce documentaire nous partons à la rencontre d’acteurs de l’ONG EcoPeace, une organisation régionale de consolidation de la paix environnementale au Moyen-Orient réunissant Palestiniens, Israéliens et Jordaniens, collaborant pour apporter des solutions pour remédier aux problèmes liés à la crise de l’eau. Nous suivons donc Munqeth Mehyar, écologiste de EcoPeace-Jordanie dans le cadre du projet d'un grand complexe écotouristique, le "Parc de la paix", qui vise à ramener à la vie une ancienne centrale hydroélectrique située en territoire jordanien au sein d'un projet de parc national. Si le Jourdain retrouvait un débit normal, une zone vaste humide pourrait voir le jour. Munqeth Mehyar réunit les chefs de projet jordaniens afin de trouver des solutions. Ecopeace a déjà œuvré à de nombreux projets comme la revitalisation du site d’un lac de retenue désaffectée afin de le transformer en parc naturel et zone de loisir. A présent il est même possible d’y trouver de la forêt, écosystème rare dans la région. Cette ONG est aussi impliquée dans des programmes d’éducation dans les écoles où les acteurs peuvent sensibiliser la jeunesse à la filtration de l’eau à base de graviers et de sable, ainsi qu’à la réutilisation des eaux usées.

Puis nous basculons du côté Israélien et ses techniques agricoles innovantes: système de filtrage hors du commun, désalinisation de l’eau de mer en osmose inversé, système d’irrigation de pointe et même pisciculture sont présentés à l’œil attentif de la caméra. Cependant cette production fortement consommatrice d’eau provoque la colère des états voisins. Ce documentaire soulève également d’autres enjeux sociétaux tels que l’importance du fleuve pour les locaux jordaniens qui viennent s’y ressourcer durant leur temps libre. Les habitants témoignent de leur attachement au fleuve et aux souvenirs qui y sont liés, de leur mode de vie difficile mais également de leur espoir. Le film se termine avec une description du désastre de la Mer Morte (retrait de la mer, tourisme en déclin, camping engloutis par les sinkholes, industries chimiques, …).

Analyse critique

Accompagné de sons et musiques orientales, ce documentaire nous transporte au cœur du bassin du Jourdain à travers de nombreuses scènes de nature et d'habitants, entrecoupées par des entretiens avec les militants de cette vallée.  Une voix off féminine et apaisante nous présente ces enjeux majeurs de manière très calme. Le spectateur se sent naturellement transporté le long de cette rivière où le reportage mêle le constat du niveau critique de la crise de l’eau avec des notes d'espoir. En Israël, la gestion de l’eau relève de la sécurité nationale. Il est clair que la souveraineté de l’eau reste un sujet extrêmement sensible entre Jordaniens, Israéliens et Palestiniens.

Au-delà des antagonismes économiques et politiques, les militants d'EcoPeace font le pari que la protection du Jourdain pourrait être en réalité un moyen de réconciliation entre les peuples de la vallée.  Le film recueille les témoignages de membres de l'ONG dans les trois pays, notamment son fondateur Gidon Bromberg, dont certains collaborent depuis 20 ans. Malgré l'importance des questions d'eau dans la géopolitique régionale et le partage très inéquitable des eaux du Jourdain résultant de l'hégémonie israélienne une lueur d'espoir est permise par le développement du dessalement de l'eau de mer, qui a permis de réduire la tension sur la ressource en eau de manière générale et sur le lac Tibériade en particulier.

Bien que ce documentaire nous donne une assez bonne configuration hydrique régionale au travers de cartes animées de la vallée du Jourdain, il enchaine des scènes sur les questions d'eau dans les trois pays qui se révèlent un peu décousues et juxtaposées: livraisons hebdomadaires d'eau à Amman, vendeurs privés, cultures d'orangers dans la Vallée du Jourdain avec un paysan 'pilote' d'un projet de de l'USAID qui récupère l'eau de pluie et utilise le goutte-à-goutte, irrigation de palmiers par des investisseurs israéliens près de Jéricho, irrigation de précision, lieu saint ou Jésus aurait été baptisé, etc. Au-delà du constat que l'eau est rare et l'objet d'accaparement (e.g. les palmiers impactent les eaux souterraines et la source de Jéricho) on a du mal à se faire une idée plus précise de la situation hydrique dans le bassin du Jourdain. De même le documentaire reste avare de détails sur le contexte historique des conflits Israélo-arabes et comment la question de l'eau a été traitée. Pour en apprendre davantage sur les conflits historiques, il peut être intéressant de coupler ce documentaire avec un autre de ARTE reportage: « Israel-Palestine: Eau Secours » de 2023.

Le film est essentiellement tourné en Jordanie et en Israël et l'on apprend que le militant Palestinien d' EcoPeace n’a malheureusement pas pu se déplacer en Israël pour rejoindre les autres membres de l'ONG. La diversité des « acteurs » de ce documentaire reste limitée puisque seuls des représentants de EcoPeace ont la parole à l’écran (ce sont d’ailleurs principalement des hommes). Gidon Bromberg est un interlocuteur présent dans presque tous les reportages sur la région car il permet d'apporter une touche d'espoir là où il y a, a priori, peu de raisons objectives d'en nourrir. Au travers de la parole de ces militants, le documentaire donne l’espoir au spectateur que les projets identifiés verront le jour et conduiront au moins en partie, à la paix entre les peuples. Ce film permet de faire passer un message de paix supporté par les ONG internationales avant que la mer ne soit définitivement condamnée. Il faudra néanmoins aller au-delà de la collaboration régionale et des progrès technologiques pour sauver cette région. Tout est possible, certes, mais comme le souligne la dernière réplique du film, (seulement) "si les pouvoirs politiques jouent le jeu". Les récents évènements de l'année 2023 n'incitent pas à l'optimisme.

Contribution d'Angelina Canevet et Lisa Soussi

 

Films connexes

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/338-eaus

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/229-jordan

Sources

Faye. O; Le Hamas dans « Le Monde », de la grève générale dans la bande de Gaza à l’attaque contre Israël.

Le Monde (2023); https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/10/11/le-hamasdans-le-monde-de-la-greve-generale-dans-la-bande-de-gaza-a-l-attaque-contre-israel_ 6193813_4500055.html

Marty. B; Pommier. F; Qu’est-ce que la bande de Gaza?. Le Monde (2023); https:// www.lemonde.fr/comprendre-en-3-minutes/article/2023/10/14/c-est-quoi-la-bande-de-gaza-comprendreen-trois-minutes_6194357_6176282.html -

Lacoste. Y; Israël-Palestine : un conflit d’une exceptionnelle complexité Les conflits dans le monde, pages 275 à 310, (2011); https://www.cairn.info/les-conflits-dans-le-monde-- 9782200272715-page-275.htm

Nouvelle flambée de violence dans les territoires occupés. Le Monde (archives,1988)

Victor. J. 2010. Israël - Palestine, la guerre de l’eau. Arte Reportage (2010): https://youtu.be/ TraIaxdFSBw?si=mRmJdsrWjmg2vPJ1

Amar. S; Mraffko. C; Somm. M; Lederer. S; Musleih. N; Abed. A; Lion-Ranty. A. 2020. Israël : les naufragés des deux Palestine. Arte Reportage (2020); https://youtu.be/3hu4FWtOGLQ?si=lUJDYIuo4hXO-j5A

Middlebrook. M; Wild. N; Israël – Palestine : eau secours. Arte Reportage (2020). https:// youtu.be/p-f4146o3YM?si=NpsxO_GDFOW6-ZiW

Amiot. H; Eau et conflits dans le bassin du Jourdain. Les clés du Moyen-Orient (2018) https://www.lesclesdumoyenorient.com/Eau-et-conflits-dans-le-bassin-du-Jourdain.html  

 

Additional Info

  • Director: Michael R. Gärtner
  • Producer: ARTE Heike Lettau; Yvette Durrenberger Société de production: Längengrad (Allemagne); Seppia (Strasbourg)
  • Language: French, German
  • Year: 2017
  • Duration (min): 53
  • Theme: Water supply, Water scarcity, Environmental degradation, Irrigation & agricultural water management, Transboundary waters, Water politics, Wetlands
  • Access: Free
  • Country: Jordan, Israel, Palestine
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 3.5
  • Social interest: 4