Synopsis/contenu du film

Le marché de l’eau en bouteille ne cesse de progresser d’année en année, avec un budget annuel de 5 milliards d’euros en France seulement, toutes marques et emballages confondus. Ce marché a été dominé pendant longtemps par les grandes marques comme Nestlé et Danone, qui ont éliminé la concurrence au fil des années. Le film montre comment cette situation a été renversée par un homme, Pierre Papillaud, propriétaire de la marque Cristaline, une eau en bouteille low cost. Au vu de la progression fulgurante de Cristaline, la société des Eaux de Paris qui commercialise l’eau du robinet dans la capitale a lancé en 2006 une campagne publicitaire contre les eaux en bouteille, dans le but de mieux positionner son eau. La contre-attaque très virulente de Cristaline va déclencher une « guerre de communication » qui finira en procès judiciaire.

Mais l’eau en bouteille peut également faire l’affaire des collectivités. C’est le cas de la collaboration entre la multinationale Danone et la commune d’Évian-les-Bains, propriétaire de la source Évian, à qui Danone verse la somme de 8 000 000 €/an pour l’exploitation de la source, ce qui représente la moitié du budget communal. Le film parcourt différentes marques d’eau en France puis se penche sur les eaux à vertus thérapeutiques et d’une façon générale sur les liens entre eau et santé. Le documentaire montre comment les eaux dites minérales peuvent parfois même être néfastes pour la santé, alors qu’aucune contre-indication n’est mentionnée sur les bouteilles. Le réalisateur termine par les eaux dites “haut de gamme” vendues très chères, et pourtant parfois prélevées de sources 'normales', comme tant d'autres.

En résumé, le documentaire essaie de comprendre comment toutes ces marques font pour convaincre les consommateurs d'acheter leurs produits plutôt que d'utiliser l'eau du robinet, pourtant disponible chez eux et bien moins chère ; mais également de voir si l’eau minéralisée à qui l’on prête des vertus n’aurait pas, au contraire, un effet négatif sur la santé.

Analyse critique

Ce film documentaire a été tourné sur le territoire français, avec quelques scènes en Angleterre et en Norvège. Diffusé en premier par la télévision C8, il a vraisemblablement été racheté par la chaîne YouTube « Food story » connue pour la diffusion de documentaires dans le domaine de la consommation alimentaire. Le fait que le documentaire soit « anonyme », est intrigant. Il n’a pas de générique sur YouTube et nous n’avons pas pu identifier le réalisateur ni le producteur. Il a été diffusé par la chaîne C8 le 28 septembre 2016 ('Danger alimentaire', 2016).

Ce documentaire met en lumière l’importante consommation d’eau en bouteille en France et le business fructueux que cela génère, et ce jusqu’à ce jour. En effet, de tous les produits achetés par les Français en 2020, le pack de 6 x 1,5 L de Cristaline est celui le plus vendu, soit 241 millions d’unités, pour un chiffre d’affaires de 249 millions d’euros (Louis, 2021). La question que l’on se pose alors est comment font toutes ces grandes multinationales pour convaincre les consommateurs de mettre la main au portefeuille alors que l’eau du robinet est disponible pour bien moins cher.

Les événements sont racontés dans le film à la manière d’un documentaire d’investigation à suspense (voix off). Le narrateur est très captivant dès les premières minutes et on peut voir tout l’effort qui est mis sur les prises de vue et les transitions, afin de donner envie de poursuivre le film jusqu’à la fin.

Le documentaire illustre très bien la stratégie qui est utilisée par le patron de Cristaline, qui en passant d’une appellation “eau de table” à une “eau de source” puis ayant rajouté “naturelle”, a vu sa notoriété augmenter d’une façon significative. Beaucoup de personnes préfèrent l’eau en bouteille pour des raisons bien précises : une appellation et des promesses. De l’ « eau de source naturelle » de Cristaline, à l’ « eau rajeunissante » d’Evian ou encore l’ « eau artésienne » de Voss, les appellations et astuces ne manquent pas pour attirer une clientèle qui, parfois, ignore tout de leurs significations réelles, mais est consciente de l’importance de l’eau, et cherche alors à s’en procurer une plus chère en croyant obtenir une meilleure qualité.

Cette situation met en évidence la problématique de la tarification de l’eau. En réalité, il se trouve que l’eau de source embouteillée dispose d’un produit de substitution beaucoup moins cher et tout aussi fiable : l’eau du robinet (Marty, 2006). Bien que Cristaline utilise le principe de l’eau pas chère, l’eau du robinet reste 40 fois moins coûteuse ; ceci montre que les Français ne refusent pas de payer l’eau à un prix plus élevé mais ont besoin d’être rassurés par rapport à sa qualité. L’eau du robinet doit être plus valorisée car elle est déjà précieuse et a pourtant un prix très faible. Il serait important de communiquer davantage sur sa qualité, car jusqu’à présent, ce sont surtout les aspects négatifs qui sont relevés. Par exemple, plusieurs études ont montré la présence de perturbateurs endocriniens dans l’eau, un argument qui a d’ailleurs été utilisé par Cristaline pour soulever une éventuelle contamination de l’eau de robinet. La société des « Eaux de Paris » et toutes les communes en charge de l’eau potable devraient être très vigilantes par rapport à la qualité de l’eau du robinet, notamment avec ces nouveaux micropolluants. Cela permettra de redonner à cette eau toute sa valeur.

Le documentaire s’adresse à un grand public et utilise un langage assez accessible. Il donne la parole à presque toutes les parties prenantes : le patron de Cristaline, la directrice de la société des « Eaux de Paris », le maire de la ville d’Évian, sans oublier les chargés de production, les gérants de rayons, de bars, des entrepreneurs, des scientifiques et des consommateurs. Le film traite d’un sujet très actuel qui pourrait intéresser tout consommateur d’eau de robinet ou d’eau en bouteille.

Le réalisateur aborde la question des eaux minérales qui seraient dangereuses pour la santé des personnes souffrant d’hypertension. La littérature sur la qualité des eaux de boisson illustre le fait que la minéralisation est un facteur important pour la santé et la croissance. L’eau minérale est un produit reconnu par les autorités sanitaires comme ayant une composition physico-chimique stable et qui peut revendiquer des effets bénéfiques sur la santé (Marty, 2006). Les eaux minérales naturelles peuvent contribuer à la couverture des apports nutritionnels conseillés (ANC) en minéraux, jusqu’à 64 et 44 % en calcium et magnésium respectivement (Constant et Hawili, 2011). Il existe plusieurs eaux minérales allégées en sodium dont certaines portent la mention "convient pour un régime pauvre en sodium", et sont adaptées pour les patients hypertendus. Sur cette question, on peut sentir que le réalisateur, qui jusque-là était neutre, prend position, car il ne donne pas la possibilité aux entreprises de s’expliquer par interview, comme c'est le cas pour la présentation du fonctionnement de la production en usine.

Le documentaire passe sous silence la surexploitation des sources d’eau par les multinationales. On peut avoir l’impression, de nos jours, que l’on se focalise beaucoup sur l’agriculture et les impacts qu’elle a sur les ressources en eau, et on tend à minimiser voire oublier ce secteur des eaux embouteillées qui exploite d’une façon intensive et régulière les nappes, et en fait un business fructueux. Le film de ARTE sorti en octobre dernier (Hissen, 2021) est un bon complément et permet à travers une enquête conduite en France et en Allemagne sur ces grandes multinationales de voir leurs impacts sur l’environnement (assèchement de cours d’eau, pollution, incinération illégale de leurs déchets plastiques dans le sol…) qui sont contradictoires par rapport à leurs politiques et stratégies marketing.

(Avec des contributions de Mohamed Youssouph et Santiago Mass)

Références bibliographiques

Cailleau, E. 2014. Eau minérale : laquelle boire en fonction de mes besoins ? Top Santé. 20/01/2014. Disponible sur : https://www.topsante.com/nutrition-et-recettes/les-bons-aliments/eau/eauminerale-laquelle-boire-en-fonction-de-mes-besoins-53127 (Consulté le 19 octobre 2021)

Constant, F. et Hawili, N. 2011. Les eaux embouteillées. Cahiers de Nutrition et de Diététique, 46(1), p. 40‑50. DOI : 10.1016/j.cnd.2010.11.001 (Consulté le 20 novembre 2021)

Danger alimentaire. 2016. FOCUS – Eaux minérales, eaux en bouteille : savez-vous ce que vous buvez ? Disponible sur https://www.dangersalimentaires.com/2016/09/focus-eaux-minerales-eaux-en-bouteille-savez-vous-ce-que-vous-buvez/ (Consulté le 07 décembre 2021)

Hissen, J.D. (Réalisateur). 2021. À sec - La grande soif des multinationales. ARTE. Disponible sur https://www.arte.tv/fr/videos/099777-000-A/a-sec-la-grande-soif-des-multinationales/ (Consulté le 23 octobre 2021). Disponible aussi sur https://www.youtube.com/watch?v=ksIsHShbx9U (Consulté le 19 novembre 2021)

Louis, P. 2021. Nutella, Cristaline, Ricard… Ces produits les plus vendus par la grande distribution en 2020. BFM Business. Disponible sur https://www.bfmtv.com/economie/consommation/nutella-cristaline-ricard-ces-produits-les-plus-vendus-par-la-grande-distribution-en-2020_AN-202104020180.html

Marty, N. 2006. La consommation des eaux embouteillées. Vingtième siècle. Revue d’histoire, 91(3), p. 25‑41. Disponible sur https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-3-page-25.htm%20 (Consulté le 15 novembre 2021)

http://eaudeparis.fr/leau-au-quotidien/dossier-focus/proces-cristaline-eau-de-paris-salue-un-jugement-exemplaire/

https://www.europe1.fr/economie/Cristaline-condamne-pour-avoir-denigre-l-eau-du-robinet-934244

https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/cristaline-condamne-pour-avoir-critique-l-eau-du-robinet_101541

https://www.evian.com/fr?gclid=EAIaIQobChMIif2FpY-k9AIVQrrVCh0FXAkQEAAYASAAEgK5PvD_BwE

https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Queneau

Autres documentaires sur l'eau en bouteille

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/81-nestle

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/102-rotten

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/231-tapped

https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/21-blue-gold