Le delta du Nil, la fin du miracle

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Synopsis

Ce documentaire examine les menaces que font peser sur le delta du Nil les changements hydromorphologiques liés au réchauffement climatique et à la construction de barrage d’Assouan. Près de 40 millions d’êtres humains vivent à moins de deux mètres au-dessus du niveau de la mer et le delta est soumis à la fois à un affaissement naturel (estimé à 10 mm par an les 10 dernières années du 20ème siècle) et  à une montée du niveau de la mer dont on estime qu'il atteindra 1 mètre vers 2100. Ces phénomènes sont discutés par le Dr Mohamed Bahnassi, scientifique de l’Université d’Alexandrie, qui montre les changements observés à la pointe de Rosette en termes d’avancée des zones marécageuse salées, de salinisation des sols, et d’efficacité limité des imposantes barrières littorales constituées d’éléments de béton (et dont la première version est maintenant engloutie dans le sable). Mais depuis 1970, le delta est menacé de manière plus insidieuse par le barrage d’Assouan, ce même réservoir qui lui permet de réaliser une double culture généralisée avec un risque (inondation ou sécheresse) minimal. Ce barrage retient en effet des millions de tonnes du limon fertiliseur venu d’Ethiopie qui permettait au delta non seulement de résister à l’assaut des vagues mais également d’avancer sur la mer. Il est devenu nécessaire d'utiliser des engrais chimiques dont la production nécessite beaucoup d’énergie.

Mais cette perte de limon, associée à une dégradation de la qualité de l’eau (phosphates, nitrates, métaux lourds), ont impacté le plancton, les sardines qui s'en nourrissent et toute la chaine trophique correspondante. 30 des 47 espèces de poisson pêchées en Méditerranée auraient disparu et le documentaire montre le produit de la pêche en mer au large d’Alexandrie, principalement constitué de petits poissons de faible valeur. Dans un contexte de salinisation des terres du nord du delta, la pisciculture apparait comme une voie d’avenir et permet la réutilisation des eaux de drainage à la qualité dégradée.

Si le destin du delta parait scellé, l’avenir ne peut être que dans le désert. Le film se penche alors sur les solutions développées par le monastère Abu Maqar, à l’Ouest du Caire, sa production de betteraves et de jujube irriguées au goutte-à-goutte avec des eaux souterraines. Malgré le caractère prometteur de ces innovations le documentaire se termine sur une note pessimiste, estimant que cela ne suffira pas à empêcher l’exode d’une partie de la population du delta. Où iront-ils?

Analyse

Ce documentaire nous propose un aperçu des menaces auxquelles est soumis le delta du Nil en montrant de manière convaincante comment la combinaison de divers phénomènes, lents et insidieux mais néanmoins implacables sur le moyen terme, conduira à une diminution dramatique de sa productivité et de son étendue cultivée. Un point particulièrement intéressant, et peu connu du public, est l’impact du barrage d’Assouan sur les pêcheries de Méditerranée, illustrant comment des changement de régime hydrique ont souvent des impacts négatifs non-anticipés mais néanmoins massifs. Il présente des innovation intéressantes et importantes (pisciculture, recyclage, micro-irrigation dans le désert,…) mais évite l’écueil habituel de laisser le spectateur avec le vague espoir que cela suffira à contrebalancer les dynamiques explicitées dans le film. Sa conclusion est pertinente: il faudra quitter le delta, mais le désert ne constituant pas une solution d’une ampleur suffisante, des migrations internationales sont inévitables. On peut toutefois relever que si le film semble considérer cela comme une perspective future, l’Egypte a en fait déjà atteint un niveau de saturation démographique qui suscite depuis longtemps l’émigration de sa population.

Traitant d’un sujet pour lequel les raccourcis ou inexactitudes médiatiques sont courants, le film se distingue par la qualité scientifique de ses arguments. Si l’on peut relever ici et là quelques exagérations (les deux tiers des agriculteurs souffriraient de la salinisation de leurs terres, la qualité sanitaire du tilapia de pisciculture serait mauvaise (un point fortement contredit par les experts du WorldFish Center qui expliquent que cela ne peut être le cas pour des poissons au cycle (très) court), les coptes représentent 15% de la population, etc), l’enchainement des idées est pertinent et les problèmes bien posés.

On pourra peut-être regretter le traitement un peu rapide de l’expansion de l’agriculture dans le désert (idée attribuée à Sadate alors que c'est bien Nasser qui a le premier lancé ce rêve jamais vraiment réalisé). La question de la durabilité de ce type d’agriculture dépendant des eaux souterraines, ou le fait qu'elle est –surtout depuis une vingtaine d’années- largement limitée à de gros investisseurs ou des firmes d’agrobusiness (et donc pas vraiment une solution pour des petits paysans qui souhaiteraient quitter un delta en crise) aurait pu être mentionnés. Mais il est vrai que le film date de 2008 (date à laquelle ces évolutions étaient moins accusées), ce qui ne retire toutefois rien de l’intérêt et de la qualité de cet excellent documentaire sur le delta du Nil.

François Molle

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Additional Info

  • Director: Luc Riolon
  • Producer: Bleu Krystal Media, ARTE France, IRD Audiovisuel
  • Language: French
  • Year: 2008
  • Duration (min): 52
  • Theme: Dams, Environmental degradation, Irrigation & agricultural water management, Water quality, pollution, Water governance, Salinisation, Water cycle & hydrology
  • Access: Free
  • Country: Egypt
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 5
  • Social interest: 4