Zone rouge

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Synopsis

Ce film retrace l’histoire de l’usine de Gardanne qui produite de l’alumine à partir de la bauxite à l’aide du procédé Bayer : elle génère une grande quantité de soude et de boues rouges, déchet industriel composé d’eau, de boues ferreuses contenant de la soude, et des restes d’aluminium, d’arsenic et de métaux lourds tel que le plomb, le mercure, le chrome, le vanadium et le titane. Il faut en moyenne 4 à 5t de bauxite pour fabriquer 2 t d’alumine. Les rejets de l’usine ont d’abord été stockés dans les vallons de Mange-Garri. En 1963, en butte à la capacité maximale de stockage du site, le propriétaire de l’usine, l’entreprise Pechiney, envisagea de déverser, par le biais de la construction d’une canalisation de 45 km, les boues rouges dans la mer jusqu’au canyon de Cassidaigne à 300 m de profondeur. Ce projet ayant été très rapidement contesté par les habitants de la région, Pechiney mena alors une grande campagne de désinformation. Pour ce faire, il recourut aux services de l’agence de communication HAVAS et au commandant Cousteau qui firent passer les boues rouges aux yeux du grand public comme des déchets inertes ne présentant aucun risque pour l’environnement et la santé. C’est ainsi que l’entreprise obtiendra l’autorisation de faire construire la canalisation, les rejets en mer débutant en 1966. En 1993, à la suite de la fuite des résultats d’une étude réalisée par le laboratoire CREOCEAN de l’eau, jugeant les rejets trop toxiques, Pechiney mit alors en place un collège d’experts qui produira un rapport concluant à l’innocuité des rejets. Cette désinformation ajoutée au chantage à l’emploi relayé par l’administration et les élus locaux, lui permettent en 1997 d’avoir une autorisation de 20 ans supplémentaires, malgré les 24 millions de tonnes de boues toxiques déjà déversées en mer. En 2007 l’usine passa dans les mains de Rio Tinto - Alcan puis, en 2012, devint la propriété du groupe ALTEO. A l’approche de l’échéance de l’autorisation, le groupe Altéo élabora une stratégie afin d’obtenir une prolongation de l’autorisation. Il mit en place des filtres presse, financés par l’Agence de l’eau, qui séparent l’eau des déchets solides qu’ils rebaptiseront bauxaline, dans le souci d’en commercialiser le plus possible. Processus qu’ils feront passer comme écologique produisant des déchets inertes avec moins de dégâts pour la santé et la méditerranée, ce qui ne fut pas le cas. En Décembre 2015, contre toute attente, ils reçoivent une nouvelle dérogation de rejets en mer pour six ans supplémentaires. Le désastre continue.

Analyse critique

Coproduction de France télévision, avec la participation de Public Sénat, ce film retrace l’histoire d’un désastre écologique. Désastre dont l’usine de fabrication d’alumine de Gardanne est le responsable et ce, avec la complicité de l’exécutif pendant plus d’une cinquantaine d’années.

Présenté par Jéremy Zylberberg, les faits de ce film sont narrés par des habitants de la région, le collectif de défense des Calanques, des experts de l’environnement, des éducateurs, des juristes, des pêcheurs, des habitants et des élus locaux qui ont été, de près ou de loin, impactés par ce dossier des “boues rouges“.

Le projet de rejet en mer a été décrié par le biologiste Alain Bombard avec le soutien des habitants de la région ; l’industriel Pechiney va utiliser une figure emblématique de l’environnement marin Français pour amorcer une grande campagne de désinformation afin d’obtenir l’autorisation de rejet en mer. Il s’est avéré plus tard que les activités du commandant Cousteau étaient en partie financées par Péchiney. Le rejet en mer qui sera une solution économique pour l’industriel va lui permettre de déverser près de 30 millions de tonnes de boues rouges pendant plus de cinquante ans, dont 800 t d’arsenic. Certes les boues ne remontent pas à la surface mais elles restent présentes et, d’après les analyses de CREOCEAN, elles se sont étalées sur les fonds marins sur près de 230 km2 au lieu de rester confinées à la fosse de Cassidaigne. Pire encore, les concentrations en éléments toxiques dépassent largement les limites autorisées, ce qui contamine la faune marine. Il a même été démontré que la toxicité de ces déchets agit sur la reproduction des oursins et des huitres. Le procédé des filtres presses n'a fait que déplacer une partie du problème sur terre. La bauxaline extraite des filtres presses est à nouveau envoyée dans les vallons de Mange-Garri et par temps sec les particules de poussières se détachent et planent dans l’air ambiant avant d’être inhalées par le voisinage ou de se déposer sur les feuilles, les terrasses et les toitures.

Delphine Batho, Corine Lepage et Ségolène Royal, toutes ministres de l’écologie à des périodes différentes, se sont montrées hostiles au renouvellement de l’autorisation du rejet en mer ; mais à chaque fois et contre les recours des défenseurs de l’environnement, l’autorisation a été octroyée. On constate que le chantage à l’emploi est le principal argument adoptée par l’industriel pour faire pression sur les élus locaux afin les rallier à son camp, l’exécutif s’étant toujours chargé de défendre le caractère bénéfique de cette décision pour l’industriel et l’emploi. Une science instrumentalisée lui permet également, par la production de plusieurs rapports par un collège d’experts, puis par la police des installations classées, de faire accréditer la thèse de l’innocuité des rejets et de dégâts mineurs sur la santé et l’environnement.

Quels sont les intérêts de l’Etat ? Pourquoi autorise-t-il une industrie à polluer un site classé Natura 2000 ? Pourquoi à l’heure où les enjeux environnementaux deviennent cruciaux, la France se permet-elle d’être le seul pays en Europe après l’Italie à rejeter de tels déchets en mer ? Ces questions sans réponses claires pourraient permettre de comprendre cette pollution.

Les habitants au voisinage de l’usine sont affectés par la poussière qui s’envole du fait des vents et de l’activité des engins sur le site. Ces poussières riches en métaux lourds sont hautement cancérigènes. Selon l’un des habitants, en 2012 une journaliste aurait identifié au voisinage de l’usine 8 cancers sur vingt familles, un taux très élevé.

Sont absents de ce documentaire les habitants de Gardanne qui sont employés dans l’usine de fabrication de l’alumine. Tous n’ont pas la même opinion mais des recherches complémentaires montrent qu’ils ne sont pas tous en faveur des actions menées contre l’usine (selon l’un d'eux “l’écologie c’est bien beau, mais ça ne fait pas manger le monde“). Ils craignent de perdre leur travail et sont prêts à subir les préjudices dus à l’activité de l’usine pour éviter le chômage. Ils sont nombreux à travailler dans l’usine et ont du mal à critiquer les choix de l’entreprise qui les emploie. Les commerçants redoutent également la fermeture de l’usine car selon eux si l’usine ferme la ville en mourra.

Par ailleurs, le film ne fait pas état de l’action de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée, qui a pointé la première la pollution rejetée en mer (en 1990) et instauré des redevances payées depuis 1994 par ALTEO ; il mentionne seulement les financements de l’Agence de l’eau pour des équipements d’ALTEO comme les filtres presses. Les redevances payées par ALTEO s’élevaient à 2,5 millions d’euros par an mais celles-ci baisse quand des investissements sont réalisés dans les unités de traitement. D’après M. Bernard Barraqué, de 2014 à 2018 les investissements cumulés d’ALTEO dans les unités de traitement s’élèvent à 26,39 millions d’euros, avec une subvention de l’agence de l’eau à hauteur de 11,30 millions d’euros, soit un taux moyen de financement de 43%. On ne peut donc pas dire que la lutte contre la pollution de l’ancienne usine Péchiney a été entièrement financée par nos impôts …

Les auteurs du film affirment aussi qu’ALTEO demeure la seule usine dans l’espace européen à déverser ses effluents dans la mer. Ceci est inexact, car en Europe, à part ALTEO, il existe deux usines qui déversent encore la partie liquide de leurs effluents en mer : une en Grèce et une en Irlande. Les trois pays hôtes de ces usines, pour éviter les sanctions de la Commission européenne et d’impacter l’emploi, tiennent absolument à ce que les déchets rejetés ne soient pas considérés comme toxiques mais déclarés comme « non inertes mais non dangereux ». “C'est la véritable raison pour laquelle le ministère de la transition écologique ne rend pas publiques les analyses des rejets les plus récentes, pour pouvoir garder cette usine malgré tout“ (Bernard Barraqué).

Le film a été réalisé en 2016, au lendemain de la dérogation de rejet de 6 ans obtenue par ALTEO. Depuis, en 2019, ALTEO a fait construire une station de traitement au CO2 des eaux résiduelles, un investissement de 6 millions qui lui permet de baisser le pH lié à la présence de soude dans les effluents ainsi que de diminuer les rejets en métaux lourds. Elle permettra de respecter les seuils autorisés de pH, et de teneur en aluminium ou en métaux lourds polluants comme l’arsenic. Un an plus tard, le 04 Septembre 2020 ALTEO a inauguré sa nouvelle station de traitement biologique de l’eau construite par VEOLIA. Cette nouvelle unité dispose d’une capacité de traitement de 300 m3 d’eau par heure, et permet ainsi à Alteo « d’être 100 % conforme aux exigences de qualité d’eau, notamment des rejets en mer ». Même si la question de la qualité des rejets liquides semble être réglée, son impact économique n’est pas moindre, car traiter 270m3/h est très onéreux pour l’entreprise. Jusqu’à nos jours la bauxaline, quant à elle, ne subit aucun traitement.

En redressement judiciaire depuis Décembre 2019, l’usine d’alumine de Gardanne est mise en vente et un appel à partenariat est déjà lancé. Appel qui a suscité des candidatures venant des quatre coins du globe, et des offres déjà déposées au tribunal de commerce. “Une grande partie d’entre elles prévoit de mettre fin à l’activité de transformation de la bauxite en hydrates d’alumines, pour se concentrer uniquement sur la transformation d’alumine en produits de spécialité destinés à la technologie de pointe. Avec l’arrêt de l’importation de ce minerai, le traitement et le stockage des déchets, dits “boues rouges” pendrait fin. “

Ce choix pourrait mettre réellement fin à l’histoire des boues rouge mais impliquerait un nombre important de licenciements.

(Avec la contribution de Chaimaa Talii et Rubens Kpakpo Ted Adodo Akueson)

 

Références

https://doi.org/10.4000/vertigo.23996

https://www.notre-planete.info/actualites/4397-boues-rouges-pollution-Mediterraneehttps://www.leparisien.fr/environnement/boues-rouges-information-judiciaire-sur-les-rejets-de-l-usine-alteo-de-gardanne-18-03-2019-8034366.php

https://www.notre-planete.info/actualites/4397-boues-rouges-pollution-Mediterranee

https://www.leparisien.fr/environnement/boues-rouges-information-judiciaire-sur-les-rejets-de-l-usine-alteo-de-gardanne-18-03-2019-8034366.php

 

Additional Info

  • Director: Laëtitia Moreau et Olivier Dubuquoy
  • Producer: Bachibouzouk, Les Films d’Ici, GORGONE Production, France 3 Corse Via Stella
  • Language: French
  • Year: 2016
  • Duration (min): 52
  • Theme: Environmental degradation, Water quality, pollution, Coastal areas, Water and health, Water politics, Water and community, Aquatic ecosystems
  • Access: Free
  • Country: France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 3.5
  • Academic quality: 3
  • Social interest: 3.5