Main basse sur l’eau

 

 

 a word without water

Synopsis/contenu du film

'Main basse sur l’eau' analyse la volonté de certains acteurs économiques et politiques de transformer l’eau en un produit financier, dans la logique d’une pensée économique libérale dominante aujourd’hui. L’ensemble du documentaire cherche à montrer les limites et les dangers d’une telle évolution dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau à l’échelle mondiale.

Réchauffement climatique, pollution, pression démographique, extension des surfaces agricoles : partout dans le monde, la demande en eau explose et l’offre se raréfie. L’eau était la seule ressource naturelle à échapper aux règles du commerce.

Le reportage retrace donc l’évolution de cette idée de donner une valeur financière à l’eau, depuis ses prémices au Royaume-Uni au début des années 90 sous Thatcher, à la mise en place d’un véritable marché financier de l’eau en Australie en 2015, fruit d’une alliance entre les acteurs de la bourse et les “écologistes”. Il se tourne ensuite vers les Etats-Unis, et notamment la Californie en passe d’adopter un tel système, avant de se retourner vers l’Union Européenne, qui résiste pour l’instant, et enfin vers Maude Barlow, activiste pour la défense du droit à l'eau.

Le documentaire s’attache à montrer les impacts d’une financiarisation de l'eau sur les citoyens et sur l'accès à l'eau. Le reportage s’intéresse particulièrement à l’Australie, premier pays à mettre véritablement en place un marché de l’eau. Il montre notamment les conséquences désastreuses pour les éleveurs du bush, au départ favorables à cette mesure et désormais menacés de voir disparaître leurs exploitations. La ligne directrice de cette mesure est la suivante: face au manque d’eau, le marché de l’eau régule la demande (un prix fixé à environ 350 euros le million de litre). L’eau devient donc un bien comme le pétrole ou le gaz. Cette eau cotée en bourse n'échappe pas à la règle de la spéculation boursière. Ce marché rapporte 2 milliards d’euros par an en Australie.

Ce sont ainsi les financiers qui prennent la main sur le marché de l’eau, mais aussi des ONG qui sont à l'origine, aux USA notamment, de près du quart des transactions réalisées sur le marché, avec l'objectif de réalimenter les cours d’eau et de maintenir des débits écologiques.

Face à cette idée de marché régulateur de l’offre et de la demande, Maude Barlow, activiste Canadienne, lutte notamment auprès de l’ONU pour faire reconnaître un droit à l’eau. En Europe, la mobilisation citoyenne est, pour le moment, parvenue à freiner la privatisation de l’eau.

Analyse critique

Le reportage, produit par Arte (chaîne franco-allemande) a pour principal objet de dénoncer la volonté de faire de l’eau un produit financier, volonté portée par l’idéologie libérale. Le film adopte un ton globalement alarmant, montrant les dangers d’un tel modèle de gestion de la ressource en eau. Au-delà de la qualité des images, du son et de la réalisation, on relève que de nombreux acteurs ont été interrogés : économistes, financiers, agriculteurs et éleveurs, responsables publics, activistes. Cette diversité de protagonistes offre un aperçu des motivations de chaque acteur, du financier à l’éleveur, des acteurs qui assument parfaitement leur position, y compris celles qui semblent moralement contestables (acteurs financiers, dépeints comme des acteurs « sans pitié »). A savoir celle de la suprématie du plus fort, qui pourra continuer de produire alors que les plus faibles disparaîtront du marché (les éleveurs et agriculteurs qui ne parviennent pas à avoir une entreprise rentable).

Plus étonnant est le rapport qui est dévoilé entre “les écologistes“(partis et ONG) et le marché de l’eau, que ce soit en Australie ou aux USA. Ce rapport montre bien la complexité et les conflits entre les enjeux sociaux, économiques et environnementaux, qui poussent ici les écologistes à encourager la régulation par le marché. Donner un prix à l’eau permet –selon la théorie économique - de préserver la ressource et, potentiellement, d’en 'rendre' à l’environnement. Il s’agit là d’une forme d’alliance entre écologistes et économistes néolibéraux.

Est aussi relevée une possible tension des usages entre les producteurs agricoles et les villes. Cette tension est notamment illustrée par l’exemple de la ville de Los Angeles, qui consomme énormément d’eau, face aux agriculteurs de Californie, très dépendants de la ressource pour leurs activités (irrigation).

Ce documentaire adopte une approche essentiellement économique du problème, basée sur des dires d’acteurs choisis, qui ne représentent peut être pas l’ensemble des opinions. Il s’appuie aussi sur l’image d’éléments climatiques extrêmes, notamment la figure de la sécheresse, du manque d’eau, qui revient plusieurs fois tout au long du film (pour chaque nouvelle situation géographique).

On peut s'étonner que la situation du Chili n’ait pas été abordée, alors qu’il s’agit d’un des pays où un modèle ultra-libéral de gestion de l’eau a été adopté depuis près de 30 ans, et critiqué à de nombreuses reprises. Le reportage aurait aussi pu se pencher sur les controverses autour des expérimentations des années 2000 en Australie, qui ont abouti au modèle actuel.

Le dernier quart d’heure du reportage propose une alternative, une lutte contre la privatisation de l’eau et sa cotation en bourse, en faisant intervenir l’activiste Maude Barlow qui a milité avec succès aux Nations Unies pour la reconnaissance de l’accès à l’eau potable comme un droit humain. Cette partie aborde aussi les résistances européennes à la privatisation de l’eau. Les témoignages des responsables politiques et des activistes encouragent une gestion de l’eau sur le long terme, à l’opposé des visions de court terme du monde financier et de ses acteurs.

Cette dernière partie montre l’opposition à la privatisation de l’eau mais ne propose pas vraiment de solution concrète face à la raréfaction des ressources en eau. Par ailleurs,  seul l’accès à l’eau potable est abordé (quid des agriculteurs et éleveurs ?). Le contre-exemple européen dépeint par le réalisateur comme une forme d’entité résistant à la pression des marchés semble inexact. La diversité des pays membres de l’UE et de leurs modes de gestions de l’eau n’est pas prise en compte. De plus des confusions sont faites entre la question de la privatisation des services de distribution d’eau et celle de la transformation de l’eau en valeur boursière, qui sont deux phénomènes très différents. Le film ne propose pas de modèle économique ou technique comme les régimes des biens communs par exemple, mais simplement des outils juridiques qui visent à contrer la privatisation de l’eau, outils juridiques dont la seule présence bien qu’importante, ne suffit pas (résolution de l’assemblée générale de l’ONU).

Ce film propose donc de questionner le rapport à l’eau qui est entretenu actuellement dans le monde, en contrastant une vision essentiellement marchande de la ressource avec celle d’une ressource partagée essentielle, d’un droit humain. Il questionne plus largement notre rapport aux ressources naturelles et notre modèle économique actuel.

(Contributions de Jordan Pinheiro et Jean Guillermit)

Références

https://theconversation.com/au-chili-les-derives-des-marches-de-leau-117263

https://www.partagedeseaux.info/Les-marches-de-l-eau-au-Chili-et-ailleurs

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/anaylse-du-documentaire-d-arte-220182

Cours de Droit International Public: Evelyne Lagrange, Yann Kerbrat (ressource personnelle).

Cours d’économie de Mme Duong (ressource personnelle).

 

Additional Info

  • Director: Jérôme Fritel
  • Producer: Arte
  • Language: French
  • Year: 2018
  • Duration (min): 90
  • Theme: Domestic water, Privatisation, Water and health, Water and community
  • Access: Free
  • Country: Global, USA, UK, Australia
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 5