Synopsis
Située à 430 m au-dessous du niveau de la mer, lieu chargé d'histoire, ressource économique et touristique, écosystème unique, la mer Morte est en voie d'assèchement. Elle a perdu un tiers de sa superficie à cause de la "pénurie d'eau". Un projet consistant à dessaler l'eau de la Mer Rouge et transférer les saumures vers la Mer Morte (projet 'Red-Dead') est en gestation depuis plusieurs années. Ce documentaire passe en revue les défis et les nombreuses incertitudes qui entourent ce projet.
Le film aborde tout d'abord le problème du mélange des eaux de la mer Rouge de la Mer Morte dont les compositions minérales diffèrent grandement ; des petits cristaux de sulfate de calcium pourraient se former, la Mer Morte perdant alors sa couleur turquoise et blanchissant. Mais les expériences faites en laboratoire ne permettent pas de reproduire les conditions plus complexes de la nature. L'eau de la Mer Rouge et les saumures contiendraient 7 % de sel, contre 34 % dans la Mer Morte, ce qui pourrait la rendre rouge, un phénomène de prolifération d’algues (non toxiques) déjà observé dans le Grand Lac Salé de l’Utah aux États-Unis, mais aussi au Sénégal et en Australie. Le film explique aussi le phénomène des crevasses, qui résulte de la dissolution de poches de sel souterraines après le retrait de la mer.
Dans un deuxième temps le documentaire se penche sur les causes de l'assèchement de la mer Morte, dont le littoral a reculé en certains endroits d'un kilomètre et demi. Il nous emmène au lac de Tibériade, dont les eaux sont totalement détournées pour subvenir aux besoins d'Israël (et, marginalement, de la West Bank). Sur l'ensemble du bassin 96 % du débit de la rivière serait détourné, ne laissant qu'un filet d'eau minime atteindre la mer Morte. Mais les industries situées au sud de la mer et qui exploitent son eau en la faisant évaporer pour en recueillir le phosphate et autre éléments, contribuent également à sa disparition.
Dans un troisième temps, le documentaire examine le projet de transfert Mer Rouge/Mer Morte et les défis scientifiques qu'il pose. La clé de voûte du projet est une usine de dessalement qui pourrait affecter les coraux du golfe d'Akaba, la seule région du monde échappant aux phénomènes de blanchissement des coraux (pour des raisons pas encore bien comprises). Un autre problème est posé par la conduite qui acheminerait l'eau et les saumures vers la mer Morte: située dans une faille géologique majeure, une rupture de la conduite provoquerait la salinisation d'une nappe d'eau douce actuellement exploitée pour des cultures de palmiers.
Pour finir le projet pose rapidement la question: "pourquoi ne pas rendre l'eau du Jourdain à la Mer?" et évoque le changement climatique pour expliquer le niveau historiquement bas du lac de Tibériade, dont les réserves semblent s'épuiser au moment même où il faudrait plus d'eau. Le film évoque la question du coût du projet, 10 milliards de dollars, sans apporter aucun commentaire, puis se termine avec trois interlocuteurs (un israélien, un jordanien et un palestinien) qui soulignent leur espoir de voir le projet se réaliser.
Analyse critique
Très bien construit et illustré, ce documentaire est intéressant et instructif. Il fait le choix de se concentrer sur les défis environnementaux et scientifiques posés par le projet. Pour chacun des défis le film présente une solution avancée par les scientifiques afin d'éviter les problèmes anticipés. En ce qui concerne l'incertitude sur l'évolution biochimique résultant d'une eau cinq fois moins salée, il s'agirait de procéder par étapes en observant les évolutions progressives. On peut toutefois se demander ce qu'il adviendrait d’infrastructures si coûteuses s'il s'avérait dès le début que l'expérience est désastreuse. En ce qui concerne l'impact de l'usine de dessalement dans le golfe d'Akaba sur les coraux, il est proposé de pomper l'eau à une profondeur supérieure à 120 m, afin de limiter l'aspiration des micros organismes dont se nourrissent les coraux. Un scientifique explique que malheureusement cela entraînerait des coûts supplémentaires de l'ordre de 2 millions de dollars qui ne seront pas facilement acceptés. On ne peut être qu'effaré à l'idée qu'un surcoût de 0.2 % pour éviter des dégâts écologiques majeurs puisse ne pas être consensuel…
L'optimisme technologique qui imprègne le documentaire s'exprime également lorsqu'il est question de la technologie de dessalement dont le développement semble être attribué aux efforts déployés par les Israéliens pour résoudre leurs problèmes d'eau. Sont également mentionnées le traitement des eaux usées et la technologie du goutte-à-goutte, qui procureraient à Israël une certaine "avance technologique": le film, ce faisant, reproduit complaisamment la storyline israélienne qui vante son rôle de pionnier (le traitement des eaux usées et la désalinisation sont certes très développés mais ils l'ont été relativement tardivement par rapport à d'autres pays).
On pourra regretter que le documentaire fasse l'impasse sur les dimensions plus politiques à la fois de la pénurie observée et du projet Red-Dead lui-même. Si 96 % des ressources du fleuve sont détournées on ne comprend pas forcément très bien par qui, comment et pourquoi (en dehors des eaux du lac Tibériade prélevées par l'aqueduc national). De même la question géopolitique autour du projet n'est pas vraiment évoquée, au-delà du vœu pieux que la résolution des problèmes d'alimentation en eau apaiserait les tensions politiques. La question du financement aurait pu être abordée car rien n'est dit sur qui va payer les infrastructures et comment une eau nécessairement chère sera distribuée (en particulier comment les palestiniens pourront y avoir accès). Le film ne discute pas non plus s'il y a des alternatives à ce mégaprojet coûteux et risqué.
Malgré ces limitations ce documentaire est plaisant à regarder, de bonne qualité, et offre une introduction intéressante aux dimensions scientifique et environnementale du projet Red-Dead.
FM