H2O: L'eau, la vie et nous (3) L'urgence

 

 

 a word without water

Synopsis/contenu du film

Kelly McEvers, journaliste radio à Los Angeles, après avoir considéré l'eau comme quelque chose de tout à fait ordinaire, "pense aujourd'hui que cette molécule toute simple, celle qui coule quotidiennement sur ma tête, pourrait bien être au cœur de l'histoire la plus cruciale de notre époque (…) Si vous voulez comprendre pourquoi notre monde est en mutation, alors partez sur les traces de l'eau". C'est avec cette invitation que commence le documentaire, 3ème volet  de la trilogie: H2O: l’eau et nous, avec la promesse de révélations sur les transformations du monde.

Pour voir " à quoi ressemble une crise de l'eau" le documentaire débute avec des scènes prises à Gaza. Des gens s'alimentent en eau à des kiosques mis à leur disposition par une association caritative qui a creusé un puits et qui la filtre. "97 % des puits de Gaza contiennent une eau impropre à la consommation". Le documentaire enchaîne avec une prédiction pour le moins inquiétante, car "les chiffres sont là, les spécialistes de l’eau estiment que dans 10 ans la demande en eau dépassera de 40 % ce que la planète peut fournir", dont il découle que " point de vue statistique beaucoup d'entre nous connaîtront une situation semblable à celle de Gaza"…

Pour convaincre ceux qui penseraient qu'une telle situation ne peut pas arriver dans des pays riches, le documentaire nous transporte à la Salton Sea aux  États-Unis, où l’on rencontre, Jay Famiglietti, un hydrologue qui s'est notamment fait connaître par la mission de la NASA 'GRACE' qui a pu à l'aide d'une technique gravitationnelle très innovante cartographier la baisse des grands aquifères de la planète. La Salton Sea est une mer intérieure située à l'exutoire de l’Imperial Valley Irrigation District et qui ne recueille plus que les effluents pollués du périmètre irrigué. C'est l'occasion de noter que "la production agricole pèse très lourd sur les ressources en eau mondiale".

La mission GRACE permet de suivre les mouvements de l'eau à travers la planète et a pu mettre en évidence que depuis peu mêmes les circuits les plus anciennement établis ne sont plus les mêmes. On constate qu'un phénomène très particulier est à l'œuvre, les zones les plus humides devenant plus humides et les zones sèches plus sèches. Ceci est illustré par la sécheresse de quatre ans qui a touché la région du Cap en Afrique du Sud. Y sont interviewés les éleveurs qui ont dû abandonner une grande partie de leur bétail.

Avec le changement climatique l’atmosphère peut contenir plus d'humidité et peut donc produire également des précipitations plus fortes génératrices d'inondation. Ceci permet une transition vers une séquence ou des chasseurs d'orage traquent les 'orages super-cellulaires' pour pouvoir les filmer et les photographier. Puis c'est le travail d'un photographe qui s'est spécialisé dans les reportages sur les inondations dans le monde, comme par exemple en Caroline-du-Sud après une tornade.

La narratrice reprend la parole pour nous parler "d’une source bien cachée qui ne subit ni sécheresse ni inondation, l'eau souterraine". A peu près la moitié de l'eau utilisée en irrigation vient du sous-sol et celle-ci produit à peu près 20% de la production alimentaire mondiale. Au Kansas, un paysan raconte la baisse de la nappe et la responsabilité de l'agriculture industrielle, qui considère les ressources en eau souterraine de l'aquifère de l'Ogallala comme un minerai, sans se préoccuper de la vie des gens: la petite ville de "Happy" au Texas possède quatre églises mais pas un seul magasin ouvert…

Avec le manque d'eau il est à craindre qu'on aura de plus en plus de mal à nourrir une population toujours croissante: c'est l'occasion d'aborder ce qui s'est passé en Syrie en 2006: face à la pire sécheresse observée depuis 500 ans, les agriculteurs se sont reportés sur les eaux souterraines mais à ce moment-là on leur a coupé l'approvisionnement en diesel, provoquant famine et migration

Troy Sternberg, géographe à Oxford, théorise un effet domino entre 2006 et 2010, période où l'on voit des sécheresses en Australie puis en Chine; le prix du blé est soumis aux forces du marché et fait grimper le prix des denrées alimentaires en Syrie en Égypte, avant qu'à son tour la Russie connaisse en 2010 une vague de chaleur réduisant sa production de blé et l'amenant à réduire ses exportations de 80 %. La tension sur les marchés ajoutée à la spéculation provoqua une flambée des prix, en particulier en Égypte et en Syrie; c'est la révolution, les migrants affluents vers l'Europe en 2015, pesant sur le débat du Brexit et finalement sur son issue…

A New York, nous retrouvons un économiste spécialiste de l'eau, Giulio Boccaletti, qui explique à nouveau que dans 10 ans nos besoins dépasseront de 40 % ce que la planète peut fournir. Mais heureusement New York montre qu'il y a des solutions. Sarina Prabasi, de Water Aid, explique qu'au lieu d'investir dans des usines de traitement de l'eau coûteuse la ville a sanctuarisé le bassin versant qui l’alimente en eau (à 90%) afin qu'il produise une eau de bonne qualité. Enfin dans les pays en pointe pour trouver des solutions, le reportage évoque rapidement Israël, pour qui "la bonne gestion de l'eau est une question de survie". Le pays recycle 90 % de son eau contre 1 % aux États-Unis.

Le documentaire se termine par une note d'optimisme car "Contrairement à d'autres dangers qui nous menacent la crise de l'eau elle peut être surmontée. Mais nous sommes vulnérables si nous ne prenons pas l'eau et le climat au sérieux nous risquons l'effondrement".

Analyse critique

Ce film, d'une excellente qualité technique, est intéressant par la diversité des prises de vue, des pays sur lesquels il enquête, et des différents sujets liés à l'eau qu'il aborde successivement. Il est donc plaisant à regarder et se donne comme objectif de convaincre le spectateur que le monde est extrêmement vulnérable à une crise de l'eau qui est déjà parmi nous. Même si un tel objectif est louable et qu'on ne demande qu'à se laisser convaincre, le film comporte un certain nombre de faiblesses notoires qui sapent la crédibilité de sa démonstration.

L'introduction où la réalisatrice nous informe qu'elle va raconter "une histoire dont personne ne parle", ainsi qu'un passage où elle admet que "ce [qu'elle] ignorait c'est la quantité d'eau que les agriculteurs puisent dans une source dont beaucoup de gens ne connaissent pas l'existence, une source bien cachée qui ne subit ni sécheresse ni inondation, l'eau souterraine", prêtent à sourire. On se dit que la journaliste s'est peut-être réveillée un peu tard mais que son épiphanie est toutefois bienvenue, et que sa candeur sera, peut-être, compensée par un sérieux travail d'enquête.

La plupart des scènes tournées dans différents pays se focalisent sur la dimension dramatique (Gaza, Le Cap, Caroline du Nord,..) sans une contextualisation qui permettrait de comprendre les causes du problème. À Gaza rien n'est dit sur les raisons, diverses mais principalement politiques, qui expliquent la situation de détresse de la ville. Pour convaincre ceux qui penseraient qu'une telle situation ne peut pas arriver dans les pays riches, le documentaire nous transporte à la Salton Sea où le téléspectateur mal averti aura du mal à comprendre en quoi le plus grand périmètre horticole irrigué du pays, et son problème d'effluents toxiques, fait écho à Gaza. Au Cap le 'day zero' s'explique-t-il seulement par la sécheresse ou faudrait-il y voir également un manque de planification ou une gestion défaillante? Aucune explication n'est donnée au-delà de la dramatisation de la situation. Enfin le reportage évoque rapidement Israël, pour qui "la bonne gestion de l'eau est une question de survie" et qui y "est parvenu par sa richesse, son pouvoir, et un gros travail de sensibilisation". Là encore la répétition sans nuance de la "success story" israélienne montre la superficialité de l'analyse et en laissera plus d'un sur sa faim.

La théorie de l'effet domino de Troy Sternberg suscite l'intérêt. La conjonction de différents événements dans le monde semble bien conduire à des catastrophes en chaîne. Les liens entre la sécheresse de 2006 et la révolte syriennes de 2010 ont donné lieu à une controverse et une littérature qui ne peut être résumée dans ce court commentaire. On pourra lire en particulier l'article de Jan Selby (Climate change and the Syrian civil war revisited) qui conteste la naturalisation de cette crise politique.

Enfin il y a New York, qui montre qu'il y a des solutions et que "le pire n'est pas sûr". Là encore on a du mal à faire la transition entre la crise du Moyen-Orient et le fait que New York ait protégé ses sources d'eau pour éviter la dégradation de leur qualité et les coûts de traitement afférents. C'est certes un exemple à suivre mais la pertinence de cette action pour la résolution de la crise mondiale qui a été décrite peut sembler limitée.

La crédibilité du film est également entachée par l'affirmation faite au début selon laquelle "les chiffres sont là, les spécialistes de l’eau estiment que dans 10 ans la demande en eau dépassera de 40 % ce que la planète peut fournir". À la fin du film on apprend que "les spécialistes de l'eau" sont en fait Giulio Boccaletti qui a émis cette affirmation dans un rapport pour le forum mondial économique de l'eau. Curieusement le documentaire ne dit pas que Giulio Boccaletti est "Chief Strategy Officer, The Nature Conservancy", ni qu'il a travaillé auparavant chez Mckinsey… Cette affirmation à l'emporte-pièce ne veut pas dire grand-chose et l'on voudrait savoir comment 'la demande' est calculée et ce que ce terme veut dire, et en quoi la situation dans 10 ans pourrait-elle être si dramatiquement différente de ce qu'elle est déjà aujourd'hui.

La fin du film est, quant à elle, des plus décevantes: "tous les spécialistes que nous avons rencontrés sont d'accord: nous pouvons y arriver", sans que l'on sache qui sont ces spécialistes en dehors des trois qui sont interviewés dans le film, y compris Jay Famiglietti qui n'apparaît pourtant pas comme particulièrement optimiste… Le téléspectateur se demandera également quelles sont les solutions ou les raisons d'être optimiste vu que le film se montre plus que discret sur ces aspects.

Comme c'est souvent le cas dans ce genre de film, qui aborde la "crise de l'eau" au niveau mondial et dans sa globalité, les contextes sont simplifiés ou absents, le dramatique est mis en exergue, et l'on ne sait guère comment cette crise peut être enrayée tant les échelles et les problèmes varient tout en se croisant.

François Molle

 

(version en anglais à https://www.dailymotion.com/video/x7zk3gp)

 

Additional Info

  • Director: Kelly McEvers
  • Producer: -
  • Language: French
  • Year: 2020
  • Duration (min): 52
  • Theme: Domestic water, Water scarcity, Groundwater, Drought
  • Access: Free
  • Country: Global, USA, India, Israel
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4.5
  • Academic quality: 2.5
  • Social interest: 4