Bangladesh : la tête hors de l'eau

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Synopsis

La terre se réchauffe, les calottes glaciaires fondent et les eaux montent. Depuis 1900, le niveau des mers est monté de 30 cm en moyenne et les événements climatiques se sont fortement accentués, créant des cyclones toujours plus forts. Le Bangladesh l’illustre bien avec de nombreuses inondations, de plus en plus importantes. Les estimations considèrent qu’un quart du pays sera inondé en permanence d’ici quelques années. Cette situation entrainerait la migration de 40 millions de personnes. Comment le Bangladesh doit-il faire pour s’adapter à ces nouvelles conditions extrêmes ? 

Le documentaire prend pour fil conducteur la mise en place de solutions et l’adaptation face aux cyclones et aux inondations. Sur les rives des fleuves Brahmapoutre et du Gange, ce reportage nous dresse les portraits de Bangladais qui agissent.  Les villages souvent inondés doivent s’adapter. Pour se faire, ils construisent des bateaux hôpitaux et des bateaux écoles le long du fleuve Brahmapoutre. Des milliers de personnes ont perdu leurs terres. Pour minimiser les catastrophes à venir, des habitants ramènent de la terre pour rehausser leurs terrains, ou bien, surélèvent leurs meubles grâce à des bambous. Le film nous projette aussi dans le delta du Gange à la rencontre d’une femme. Celle-ci dévoile sa douleur face aux ravages des inondations. Paradoxalement, elle raconte aussi s’être enrichie avec les catastrophes. L’augmentation de la salinité des rizières l’a incité à changer de pratique agricole. Elle s’est lancée dans la culture du crabe qui s’avère plus rémunératrice.

Analyse critique

La chaîne Arte cible un public large et présente assez peu le contexte scientifique du changement climatique. Les causes locales de la montée des eaux sont distillées au fil du reportage. Lors d’une séquence sur les bateaux écoles, l’entrepreneur Mohamed Rezwan explique à des enfants que la fonte des glaces est à l’origine du débordement des rivières et de l’augmentation du niveau marin qui inonde les terres côtières. Il est nécessaire de prendre du recul sur cette explication. Si la fonte des glaces continentales contribue à la montée globale du niveau marin son impact est secondaire. Le Bangladesh est bien sensible à la montée globale du niveau marin car s’il augmentait d’un mètre d’ici à 2100, 20 % du territoire bangladais serait touché (Baillat, 2017a). Mais actuellement ce sont essentiellement les ondes de tempêtes associées aux cyclones qui sont responsables de la montée des eaux côtières (Swail et al., 2019). De plus, les inondations à l’intérieur des terres sont d’origine pluviale ou dues au débordement des rivières après une forte pluviométrie (Ahmad, 2006) et non pas à cause de la fonte des glaces. Le reportage fait plusieurs fois allusion à ces fortes pluies. Il fait également référence à l’érosion des rives du fleuve Brahmapoutre et la déforestation des mangroves, en s’appuyant sur le témoignage de Bangladais qui vivent les conséquences de ces phénomènes au quotidien et cherchent à s’adapter.

Avec une alternance entre un ton alarmiste et une musique mélodramatique, ce reportage met en avant deux catégories de personnes : les sauveurs et les sauvés. Cela renvoie une image très allégorique du film. D’un côté, il y a les pauvres villageois qui fournissent des efforts dérisoires et de l’autre, des personnes plus aisées et des personnalités qui semblent trouver des solutions pour aider les plus pauvres. Cette dichotomie est un peu déconstruite à la fin du reportage par le témoignage de Shefali, cette agricultrice modeste qui a su s’élever socialement après le cyclone Aila.

Les journalistes ont été attentifs à équilibrer les témoignages en matière de genre. Le documentaire met en avant à la fois des femmes et des hommes. Les journalistes ont également conscience de l’importance de la communication pour « les sauveurs » et de l’utilité pour eux de ce type de reportage dans leur démarche d’accès à des donateurs.

L’Etat bangladais est absent du reportage : il est qualifié de “trop pauvre pour agir”. En réalité, il est bien actif dans la gestion des crues et des cyclones. Le Bangladesh a fait de sa vulnérabilité une force. En effet, ce soft power s’est basé sur son adaptation reconnue face au changement climatique pour devenir le « laboratoire de l’adaptation » (Baillat, 2017b). Soutenu par le PNUD, Programme des Nations Unis pour le Développement, le Bangladesh a mis en place un système d’alerte basé sur un système de prévision des crues. Cette prévention a permis de diminuer fortement les pertes en vies humaines. Pour les épisodes de 1998 et de 2007 les victimes se comptaient en milliers  contre seulement 26 en 2016 et 2 en 2017 (Swail et al., 2019). En 2018, un programme de 12 millions de dollars visant à améliorer la résilience du Bangladesh face aux catastrophes naturelles est lancé grâce à plusieurs agences des Nations Unies (UNOPS, 2018). En 2019, avec l’aide du PAM, Programme Alimentaire Mondiale, le gouvernement bangladais a mis en place des aides financières basées sur des prévisions météorologiques pour les populations touchées par les inondations (WFP, 2019). Ces nombreux projets montrent que l'État bangladais n’est pas inactif face aux inondations mais il dépend grandement de l’appui des organismes internationaux. Le reportage montre aussi que les initiatives privées locales comme les bateaux école et les bateaux hôpitaux sont soutenus par des fonds étrangers. De façon générale, plusieurs institutions bangladaises, comme le ministère de la gestion des catastrophes et des secours, essaient de mettre en place des mesures face aux inondations. Cependant, d’après Saiful Islam, expert en gestion de l'eau à l'Université d'ingénierie et de technologie du Bangladesh, l’action de l’Etat est insuffisante et une collaboration régionale entre pays voisins est nécessaire pour une gestion optimale des risques.

Le reportage se conclue sur les conséquences migratoires des inondations au Bangladesh. Pour limiter l’immigration de bangladais confrontés à des terres hostiles, l’Inde a érigé une barrière le long de sa frontière. Frontière meurtrière où deux refugiés sont tués chaque semaine (Hamel, 2016). Contraint physiquement, par leur grand voisin, à rester sur ce territoire, chaque bangladais, chacun à son échelle doit faire preuve d’ingéniosité pour s’adapter au changement climatique. Ce reportage a l’intention réussie de valoriser cette capacité de résilience.

(avec des contributions de Agathe Siracuse et Louis Haegi)

 

Bibliographie

Ahmad, Q. K. (2006). Changement climatique, inondations et gestion des crues : Le cas du Bangladesh. Herodote, 121(2), 73‑94.

Baillat, A. (2017a). Bangladesh : De la résilience à l’adaptation. Revue Projet. https://www.revue-projet.com/articles/2017-07_baillat_bangladesh-de-la-resilience-a-l-adaptation

Baillat, A. (2017b). La diplomatie climatique du Bangladesh : Le « weak power » en action. IRIS. https://www.iris-france.org/97172-la-diplomatie-climatique-du-bangladesh-le-weak-power-en-action/

Hamel, I. (2016). À la frontière du Bangladesh, « les militaires indiens n’hésitent pas à tirer ». Le Point. https://www.lepoint.fr/monde/a-la-frontiere-du-bangladesh-les-militaires-indiens-n-hesitent-pas-a-tirer-22-03-2016-2027042_24.php

Swail, V., Grimes, S., Pilon, P., Canterford, P., Barret, C., & Simonov, Y. (2019). Alertes précoces aux inondations côtières. https://public.wmo.int/fr/ressources/bulletin/alertes-pr%C3%A9coces-aux-inondations-c%C3%B4ti%C3%A8res

UNOPS. (2018). Renforcer la résilience au Bangladesh. UNOPS. https://www.unops.org/fr/news-and-stories/news/strengthening-resilience-in-bangladesh-1

WFP. (2019). Bangladesh : Nouvelle forme d’aide apportée par le PAM aux populations touchées par les inondations au nord-ouest du pays | World Food Programme. https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/bangladesh-nouvelle-forme-daide-apportee-par-le-pam-aux-populations-touchees

Autres ressources :

https://www.francetvinfo.fr/monde/bangladesh/video-au-bangladesh-pres-dun-quart-du-pays-est-sous-les-eaux_4079991.html

 

Additional Info

  • Director: Diane Micouleau et Ludovic Fossard
  • Producer: Myrto Grecos
  • Language: French
  • Year: 2020
  • Duration (min): 25
  • Theme: Environmental degradation, Climate change, Coastal areas, Flood, Water and community
  • Access: Free
  • Country: Bangladesh
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 2.5
  • Social interest: 4.5