Synopsis/contenu du film
Ce film documentaire allemand de 2015 présente les stratégies d'adaptation contre les crues des pays riverains du Rhin. Infrastructures grises ou renaturation, au fil des années les solutions adoptées évoluent sans toutefois que les enjeux communs apportent des réponses communes.
Le Rhin traverse de nombreux pays Européens et représente un axe économique majeur. Grâce à sa régularisation réalisée au 19ème siècle et avec le port de Rotterdam à son embouchure, il est la voie fluviale la plus fréquentée d'Europe.
Ce fleuve est également sujet à des inondations importantes. Les pays les plus touchés sont la France, l'Allemagne et les Pays Bas. Le documentaire met en perspective les différentes stratégies de ces pays pour se protéger de cet aléa avec un focus particulier sur le projet Néerlandais "De l'espace pour le fleuve".
Les Pays-Bas ont une grande tradition d'ingénierie hydraulique pour conquérir des espaces sur la mer et limiter les conséquences des inondations pour la population. La construction de digues et de barrages a longtemps été la principale stratégie pour réduire leur vulnérabilité face aux eaux continentales et maritimes.
Cependant, après les inondations catastrophiques survenues en 1993 et 1995 qui ont ébranlé le système de protection des populations, le pays a décidé de compléter sa stratégie de lutte contre les inondations "du futur" en y associant un volet de solutions fondées sur la nature. Le projet "De l'espace pour le fleuve" rassemble ainsi 35 programmes de travaux visant à redonner de l'espace de mobilité au Rhin et à ses affluents : création d'un canal de décharge, destruction de digues pour créer des espaces d'expansion des crues sur des terres agricoles... Le documentaire montre différents chantiers de ce projet titanesque dépeint comme un véritable changement stratégique en matière de prévention contre les crues, et présente en miroir certains travaux réalisés sur le même fleuve et aux mêmes fins en France et en Allemagne.
Analyse critique
Le documentaire met en lumière l'approche "innovante" et exemplaire du projet Néerlandais en le comparant à ce qui est fait en Allemagne et à la marge, en France. Le discours est technique mais bien vulgarisé, les intervenants sont majoritairement des scientifiques, ingénieurs ou écologues, de nationalité française, allemande et néerlandaise.
Cependant l'exemplarité affichée peut être nuancée.
Le risque découle de l'aléa mais aussi de la vulnérabilité. Or les Pays-Bas sont dans une situation de vulnérabilité du fait d'avoir bâti dans des zones "naturellement" inondables ou inondées. Par ailleurs le projet "De l'espace pour le fleuve" n'est qu'un élément de la stratégie de lutte contre les inondations. Les infrastructures grises constituent toujours une base solide de défense contre les inondations. Le changement de paradigme annoncé n'en est pas un en réalité.
Les Pays-Bas se situant à l'aval du fleuve, ils sont directement impactés par les mesures mises en place en amont. La solidarité amont-aval dans la gestion du risque inondation est plusieurs fois évoquée pour dénoncer l'absence de prise en compte par les pays amont des impacts causés en aval et le manque d'ambition de l'Allemagne face au chantier d'envergure engagé par les Pays-Bas.
Les images des travaux, les descriptions de chantier et les infographies permettant de visualiser l'avant/après sont impressionnantes. On y présente force bulldozers et tractopelles, des digues, des ponts en construction pour désenclaver les îles artificiellement créées, des maisons détruites sous l'œil ému mais tranquille de leurs anciens propriétaires ("pourquoi pleurnicherait-on ?", "C'est normal").
Le documentaire présente un discours d'acceptation des populations néerlandaises face aux implications de ces chantiers : expropriation, démolition de maisons, perte de terres agricoles, mutation vers des compléments d'activité. Un seul agriculteur critique de ce projet est interviewé et ses arguments ne font pas le poids face à l'émerveillement suscité par les grands moyens déployés.
Ce faisant, le documentaire passe totalement sous silence la dimension conflictuelle du projet. Certes l'enjeu autour des aménagements hydrauliques est quasi existentiel aux Pays-Bas mais il n'a pas échappé à l'opposition des populations concernées critiquant la pertinence des choix faits sans concertation.
La comparaison un peu manichéenne entre les politiques menées dans différents pays permet de renforcer le modèle du "bon élève" Néerlandais. En rappelant que la gestion de la protection contre les inondations est étatique aux Pays-Bas et régionale en Allemagne, on oppose l'intérêt général et les intérêts politiques locaux.
Ainsi les images du mur mobile anti crue déployé lors d'un exercice à Cologne font pâle figure à côté des aménagements néerlandais. Le seul projet d'ingénierie hydraulique allemand présenté est critiqué comme ayant manqué l'opportunité d'être un véritable projet "d'inondation écologique". Figurant au nombre des solutions fondées sur la nature, le concept d'inondation écologique permet d'associer l'objectif de rétention des crues et la préservation de la biodiverité. La restauration de la fonctionnalité de milieux naturels comme la recréation de plaines alluviales (détruites par l'homme à 80% depuis le 19e siècle) permet une meilleure gestion des crues en abaissant la vitesse et le niveau d'eau en aval. Cependant pour qu'il y ait un gain environnemental tout en permettant une adaptation aux enjeux climatiques, les "infrastructures vertes" doivent être conçues pour être mobilisées même pour les petites crues. Ainsi, différents milieux naturels s'organisent et apportent des aménités complémentaires contrairement aux projets - tel que le projet Allemand évoqué plus haut - qui sont en fait des bassins de rétention végétalisés conçus pour être mobilisés de manière exceptionnelle.
(Contributions de Cécile Guénon)
Références
https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2011-4-page-813.htm
https://www.eea.europa.eu/fr/signaux/signaux-2018/articles/entretien-les-neerlandais-font-de
https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2011-4-page-813.htm
