Chlordécone : les Antilles empoisonnées

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Synopsis/contenu du film

En Martinique, les agriculteurs ont utilisé depuis 1972 un pesticide de la famille des organochlorés appelé chlordécone, pour lutter contre l’infestation des bananerais par les charançons noirs. Ce produit jugé « produit miracle » a été employé par les producteurs sans protection et sans connaissances sur sa toxicité. En conséquence, il a contaminé les eaux, les sols, les animaux terrestres et aquatiques, et constitue jusqu’aujourd’hui un véritable danger pour toute la population. De nombreux témoignages dans le film décrivent les dangers sanitaires subis par plusieurs familles : par exemple, des enfants nés avec des handicaps physiques et mentaux, dans une famille de producteurs retraités. Des études menées par l’institut l’INSERM depuis 20 ans ont confirmé que l’exposition à ce produit peut entrainer, entre autres, le cancer de la prostate, le cancer du sein, et des naissances prématurées chez les femmes enceintes. Du fait de la propagation du produit dans les eaux, plus de 90% de la population martiniquaise est impactée et le pays est placé au premier rang en termes de cancer de la prostate.

Pour designer des responsables, une commission d’enquête parlementaire qui a vu le jour en 2019, a prouvé par les rapports de la commission des toxiques du ministère de l’agriculture, que l’Etat avait bel et bien connaissance de la toxicité du produit depuis 1969. Ce même rapport montre que le produit a fait l’objet d’un rejet par cette commission en 1969, avant d’être autorisé pour la première fois en 1972 et ce, jusqu’en 1990.

D’autres études ont révélé que le produit est rémanent et peut rester plus de 500 ans dans le sol. En effet, les anciennes terres de bananes sont problématiques, obligeant la population à réadapter les sols vers l’arboriculture (car le chlordécone ne monte pas plus de 5 cm dans les troncs, d’après des études scientifiques). Les activités comme la pèche ont été aussi touchées, contraignant la population à restreindre leur zone de pêche.

Pour minimiser le problème, l’état a adopté des stratégies telles que les plans chlordécone depuis 2008. Ces plans visent à accompagner la population et réduire l’exposition au chlordécone à travers des contrôles sanitaires et des investissements pour la décontamination. Le plan prévoit aussi des indemnisations accordées uniquement aux victimes professionnelles du chlordécone.

Trois associations ont depuis 2006 déposé des plaintes contre l’état pour mise en danger de la population. Aujourd’hui, un risque de prescription de ces plaintes met toute la population en colère conduisant à des manifestations en février 2021 dans les rues de Fort de France [2]. L’avocat de la défense soutient les victimes et réclame une indemnisation de la part de l’état à hauteur de 15 mille euro pour chaque personne touchée, pour réparer les dommages causés par le produit. A ce jour, la commission d’enquête ainsi que toute la population espèrent et attendent une issue judiciaire favorable.

Analyse critique

Ce film entrepris en 2021 par LCP aborde les conséquences dramatiques engendrées par l’utilisation du chlordécone. Le film interroge plusieurs acteurs notamment des ouvriers et leurs familles, des médecins traitants, des membres de la commissions d’enquête etc... Même si les faits se sont passés il y a plusieurs années, l’actualité montre que des choses sont encore à faire et que l’Etat doit reconnaitre le préjudice et prendre ses responsabilités face à la population de la Martinique, qui se sent empoisonné aujourd’hui et pour des générations futures, et de la Guadeloupe, qui subit les mêmes conséquences désastreuses avec la quasi-totalité de la population impactée [1]. Plusieurs media tirent la sonnette d’alarme de nos jours et interpellent le gouvernement sur cette pollution et les problèmes de santé publique que cela engendre.

Une reconstitution chronologique montre que le produit avait été rejeté une première fois entre 1968 et 1969 par la commission des toxiques, mais a été néanmoins autorisé entre 1972 et 1990 par cette même commission et les ministères de l’agriculture [2].  En 1975, un incident qui s’est produit à l’usine de production du chlordécone aux USA a révélé les dangers du produit pour l’homme [1]. Cet incident a conduit à la fermeture de l’industrie et à l’interdiction du produit aux USA en 1976 [3].

Cependant, malgré ces alertes sur le danger du chlordécone, qui auraient dû pousser l’état français à interdire l’utilisation du produit, cela n’a pas été le cas. Bien au contraire, Dans les années 1980, l’arrêt de la fabrication du produit aux USA a conduit au rachat du brevet de fabrication par un industriel français, afin de continuer à produire le chlordécone. Tout porte à croire que l’intérêt premier était purement économique. Cette production a été une fois de plus autorisée par la commission des toxiques en 1981 et ceci jusqu’en 1990, date de l’interdiction de mise sur le marché [2].

Dans le film, l’opinion de l’état n’est pas clairement mentionnée par rapport aux plaintes des populations et les ministres de l’agriculture directement concernés ont refusé d’être auditionnés [4]. En 2018 , des études de santé publique ont montré que plus de 90% de la population en Martinique était contaminée par le chlordécone , lequel a empoisonné intensément les  sols, les eaux, le bétail, …

La persistance du produit dans le sol constitue de nos jours un enjeu sanitaire, environnemental, agricole et économique [5]. Malgré l’engagement de l’état à travers les plans nationaux (un premier en 2008, puis en 2019 et un nouveau plan 2021-2027), de nombreuses mesures et initiatives restent encore à prendre pour réparer efficacement les dommages du passé et aider la population à tourner cette page de l’histoire.

(Avec une contribution de Sakinatou Ouedraogo)

 

Références

[1]          « Projet Rivage ». https://rivage-guadeloupe.teledetection.fr/map/map.php# (consulté le 23 mars 2022).

[2]          Matthieu Fintz, « L’autorisation du chlordécone en France 1968-1981 », déc. 2009.

[3]          B. J. Pierre-, « La saga du chlordécone aux Antilles françaises Reconstruction chronologique 1968-2008 ». juillet 2010.

[4]          LIONEL CHAMOISEAU, « Scandale du chlordécone : on vous explique pourquoi la Martinique et la Guadeloupe se mobilisent contre “l’impunité” », Franceinfo, 1 mars 2021. https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/scandale-du-chlordecone-on-vous-explique-pourquoi-la-martinique-et-la-guadeloupe-se-mobilisent-contre-l-impunite_4315511.html (consulté le 28 février 2022).

[5]          « Le plan chlordécone IV (2021-2027) - Ministère des Solidarités et de la Santé ». https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/les-plans-nationaux-sante-environnement/article/le-plan-chlordecone-iv-2021-2027 (consulté le 28 février 2022).

Autres documentaires sur le même thème

https://www.youtube.com/watch?v=u3JOEL_AYu0

https://www.youtube.com/watch?v=lzvGoqc2n_k

 

Additional Info

  • Director: Thiery Mazelle
  • Producer: Jonathan le Bogot
  • Language: French
  • Year: 2021
  • Duration (min): 23
  • Theme: Environmental degradation, Water quality, pollution, Coastal areas, Water governance, Water and health, Water and community
  • Access: Free
  • Country: France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 3
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 4