Eaux usées : cocktail toxique ou précieux

GW

Synopsis/contenu du documentaire

Le documentaire "Eaux usées : cocktail toxique ou précieux ? » diffusé sur Arte TV le 19 juillet 2022 discute des enjeux des eaux usées dans nos sociétés. Il montre que les systèmes d'assainissement modernes, comme la station d'épuration à boues activées, ont largement été plébiscités en Europe pour éliminer les déjections humaines et les macro-polluants de l'eau. Toutefois, ces solutions "modernes" comportent des aspects problématiques comme le fait qu'elles soient très consommatrices en eau et énergie, et qu'elles éliminent peu ou pas les micropolluants tels que les produits chimiques et résidus médicamenteux contenus dans les eaux usées. Pour certains chercheurs, l'eau usée est à la fois précieuse et toxique, car elle contient une mine d'informations et de nutriments qui peuvent être utilisés pour différents usages. Le second volet du documentaire montre les alternatives développées par des scientifiques et les ingénieurs pour valoriser les eaux usées. Quatre sujets sont présentées successivement.

  1. L’analyse et la surveillance des eaux usées à des fins de santé publique, à travers l’observation de l’évolution des cas de Covid 19 à Paris et la comparaison de l’utilisation de drogues et de produits pharmaceutique entre les villes de Paris et Berlin ;
  2. Historique du système d’assainissement et de son fonctionnement (stations d’épuration dit à boues activées, réseaux d’assainissement, coût énergétique et coût de l’eau, coût de renouvellement du patrimoine) ;
  3. Les innovations pour valoriser les nutriments (azote et phosphate) contenus dans les eaux usées à travers des systèmes de séparation et/ou des systèmes secs ;
  4. Les innovations pour affiner le traitement des eaux usées dans le but de les réutiliser

 

Analyse critique

Ce documentaire s'intéresse à des sujets qui ne sont pas abordés au quotidien et que certains peuvent même considérer comme tabou. Il permet de réfléchir à la question des eaux usées dans nos sociétés, notamment à travers l’utilisation de cette ressource comme un indicateur d’épidémie ou une source de nutriments (azote et phosphore). Il permet également de découvrir les enjeux liés au traitement de l’eau pour deux grandes villes de l’Europe, Paris et Berlin.

Ce documentaire est destiné au grand public et les différentes interventions sont claires et bien expliquées. À cela s’ajoutent de nombreuses illustrations qui rendent le documentaire fluide et agréable. La pluralité des sujets abordés induit une dynamique dans le documentaire. Un petit historique de l’histoire de l’assainissement (du Moyen Âge à aujourd’hui) montre les enjeux importants autour de la gestion des eaux usées et permet de fixer le cadre du sujet. Il met également en avant des « symboles » de l’assainissement moderne comme, les égouts souterrains de Paris et la station d’épuration Achères, la plus grande station de traitement à boues activées d’Europe et la deuxième au niveau mondial.

Le film adopte dès le début un point de vue critique sur les stations de traitement modernes dites" à boues activées" qui sont énergivores et qui utilisent beaucoup d’eau pour l’évacuation et le transport des eaux usées. Les gestionnaires de réseaux d’assainissement et de stations d’épuration interrogés mettent en relief le coût considérable du renouvellement des réseaux d’assainissement vieillissants et la difficulté d’entretenir ce système souterrain très vaste (encrassement, dégradation du génie civil, lingettes dans les postes de relevage…).

Le film discute également le lien entre le traitement des eaux usées et le changement climatique. Les arguments évoqués notamment « l’envasement des eaux usées à cause de la chaleur » et « l’intrusion d’eaux claires parasitaires en période d’inondations », sont des exemples d’impacts aggravés par le réchauffement climatique qui restent toutefois purement centrés sur la fonctionnalité des stations et n’intègrent pas des dimensions plus larges. L’occasion est ratée de s’engager sur des questions plus profondes liées au changement climatique, notamment, sur la pertinence des systèmes de traitement actuels (énergivores, très technique, centralisé) dans un environnement de plus en plus fragilisé par les évènements climatiques. Comment est-ce-que ces infrastructures d’assainissement vont perdurer face aux évènements climatiques qui risquent de fragiliser le fonctionnement de ces systèmes ?

Apparemment aucun pouvoir public n’a été sollicité pour intervenir et permettre d’éclairer la discussion. Compte tenu des enjeux, relatifs au changement climatique ou au renouvellement et à la modernisation des systèmes de traitement, il aurait été intéressant d’avoir le point de vue des pouvoirs publics sur la situation et, par exemple, de présenter les stratégies d’adaptation de villes comme Paris ou Berlin sur ces prochains défis. Enfin, aborder la question de la réduction du coût énergétique des stations de traitement des eaux aurait été pertinent, puisque c’est un sujet d’actualité (recherche de sobriété énergétique annoncé par l’État français en octobre 2022) et que certaines stations d’épuration produisent déjà leur propre énergie à travers des processus de biométhanisation.

Le second point critique concerne les solutions que nous décrirons ici comme « high tech » (relatives à des systèmes nécessitant une technicité poussée et/ou la combinaison de plusieurs procédés) et « low tech » (relatives à des solutions hors réseau et dont la technicité est simplifiée). Le documentaire présente les innovations « high tech » comme des systèmes révolutionnaires du fait qu’ils visent à récupérer par des procédés chimiques ou électrochimiques les nutriments -azote, phosphore- contenus dans les eaux usées. D’autres alternatives présentées visent à améliorer le traitement de l’eau par la mise en place d’une succession de procédés tels que la filtration membranaire, l’ozonation etc. Ces solutions « high tech » semblent reposer sur beaucoup de technicité et requièrent l’utilisation de produits chimiques ou la mise en place de procédés complexes et énergivores. Le coût associé à ces différents systèmes et leur possible intégration dans nos sociétés n'est malheureusement pas abordé.

Par ailleurs, toutes ces innovations sont présentées uniquement par des scientifiques, dans des conditions de laboratoire maitrisées (water hub, bâtiments de recherches spécifiques). Ceci crée un discours unanime sur le progrès technique et scientifique, sans que les structures d’assainissement soient remises en cause. Ces innovations « high- tech » n’ont pas vocation à sortir ou à atténuer « le système-eau » actuel. On peut se demander si et pourquoi nous devons continuer à utiliser un système d’assainissement qui utilise de l’eau pour l’évacuation des déchets ? Le développement de systèmes d’assainissement plus grands et plus complexes est-il vraiment la meilleure solution vers une gestion durable des eaux usées ?

Le documentaire présente également des systèmes de gestion qui sont totalement “low tech”, tels que les toilettes sèches séparatrices d’urine et d’excréments. Malheureusement ces solutions « low tech » sont présentées en fin de documentaire, comme secondaires par rapport aux systèmes high tech. Pourtant les toilettes sèches séparatrices permettent de fonctionner hors-réseau ("off-grid") et donc de ne pas utiliser d’eau de rinçage. Ce sont également des solutions qui permettent de récupérer des matières fécales dans le but de faire du compost. Dans le documentaire, les toilettes sèches hors réseau sont uniquement vues comme des bonnes solutions à mettre en place à petite échelle (événements, concerts, festivals…). D’ailleurs, la narratrice expose son point de vue en disant que ces solutions sont difficilement acceptables par la population, notamment à cause d’une résistance sociale à la gestion décentralisée des eaux usées et du fait que le compost contienne des traces de molécules pharmaceutiques. Ce dernier point souligne un des points faibles du documentaire qui aurait pu aborder la question des aspects réglementaires concernant les molécules pharmaceutiques, en explicitant dès le départ ce qui peut être retrouvé spécifiquement dans les matières fécales et dans les urines, en dehors des nutriments azote et phosphore.

Globalement, le documentaire présente un bon intérêt général car il permet aux spectateurs de découvrir le monde de l’assainissement, souvent caché derrière une porte ou sous nos pieds. Le documentaire démontre bien l’immensité des infrastructures et la complexité des systèmes qui ont été mis en place afin d’assainir nos villes, et notre environnement, des effluents domestiques. À certains moments, le documentaire semble s’attarder sur des sujets dont l’intérêt est discutable, telle que l’utilisation des égouts pour identifier les fabricants de drogues illicites ou d’explosifs. Les problématiques sont traitées d’un point de vue purement scientifique, avec des solutions technologiques, sans aborder les aspects politiques et sociétaux qui régulent et construisent notre relation avec les stations d’épuration et leurs rejets. Le documentaire présente l’intérêt de bien montrer les enjeux autour de l’assainissement (sécurité sanitaire, salubrité), tout en mettant en lumière de nouvelles réflexions sur les stations de demain et les modes de gestion et d’utilisation des eaux usées.

Contributions de Jeymie Clodomar et Louis Bonhoure

 

Sources :

Analyse des eaux usées et drogue – étude multiville européenne – Source : European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction : https://www.emcdda.europa.eu/publications/html/pods/waste-water-analysis_fr

La surveillance des eaux usées en aide à la veille sanitaire sur la pandémie de Covid-19 - Source CAIRN INFO – Jean Lesne , Yves Levi : https://www.cairn.info/revue-environnement-risques-et-sante-2021-3-page-274.htm

Additional Info

  • Director: Martin Boudot
  • Producer: Premières Lignes Télévision
  • Language: French
  • Year: 2022
  • Duration (min): 52
  • Theme: Environmental degradation, Water quality, pollution, Water and health, Aquatic ecosystems
  • Access: Free
  • Country: Germany, France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 3.5
  • Academic quality: 3
  • Social interest: 4