La Guerre de l'eau

damnation

Contenu / Synopsis

La Guerre de l’eau est un documentaire de 29 minutes diffusé dans l’émission “Envoyé Spécial”. La Guerre de l’eau traite de la tension grandissante entre les militants écologistes et les agriculteurs autour de la problématique de la gestion de l’eau. Alors que cette ressource est très convoitée par ces derniers elle devient de plus en plus rare en raison du changement climatique en France (sécheresse, pluie irrégulière, températures en hausse), ce qui provoque plusieurs grosses tensions. Ce documentaire se penche sur le cas particulier de la construction de réserves d’eaux artificielles par les agriculteurs pour stocker l’eau provenant des pluies ou de nappes phréatiques pour pouvoir irriguer en saison sèche. Il existerait aujourd’hui en France environ 100,000 retenues de tailles variées, dont de nombreuses sont illégales.

La première partie porte sur les réserves d'eau dans le département des Deux Sèvres en Nouvelle-Aquitaine et commence par des interviewes d’agriculteurs qui défendent leur activité et des militants leur vision de l’environnement. La violence du face à face est illustrée par des images et témoignages de destruction de rampes d’irrigation par des écologiques, et des actions dangereuses et agressives des agriculteurs envers des militants. Le film aborde le projet de 16 réserves gigantesques construites à partir de l’été 2021 en Nouvelle-Aquitaine. Ce projet, de 60 millions d’euros qui doit bénéficier 220 exploitations, fait face à un groupe de 3000 manifestants, dont des personnalités politiques connues comme Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, qui craignent que ce projet devienne un exemple national.

La deuxième partie aborde le projet du lac de Caussade, une retenue illégale située en Lot-et-Garonne qui a pourtant vu le jour et qui fonctionne aujourd’hui. Après le rejet initial du projet les agriculteurs exaspérés, avec à leur tête le président et le vice-président de la chambre d’agriculture du département, décident de s’affranchir de la loi et de construire eux-mêmes et sans autorisation cette réserve de 920,000m3 d’eau. Ce projet est rattrapé par la justice qui décide en novembre 2020 de condamner le président et vice-président à 9 et 8 mois de prison ainsi qu’à devoir vider entièrement le lac d’ici l’été 2021. Malgré ces décisions, non suivies d’effet à ce jour, les acteurs agricoles se disent ouvertement satisfaits de leur action et espèrent inspirer et initier de nombreux projets de ce type en France.

Enfin, le documentaire nous apprend qu'en amont de la réalisation du projet des Deux Sèvres, l’Etat a organisé une réunion dans le but de réconcilier militants et agriculteurs. Des accords ont été trouvés. Les agriculteurs pourront utiliser l’eau des réserves en échange de quoi ils adopteront un protocole de mesures (pratiques écologiques saines, moins de pesticides, plus de biodiversité autour des exploitations) et acceptent la visite régulière d’un ingénieur agronome. En plus, La Guerre de l’eau ébauche des solutions pour l’avenir. Un exemple d’agriculture alternative, biologique et économe en eau est mis en avant dans les dernières minutes pour nous montrer que le problème de gestion de l’eau n’est pas insoluble. Un pessimisme règne quand même au sein des deux parties, laissant le spectateur avec le sentiment que la guerre autour de l’eau ne fait que commencer…

Analyse critique

Comme son nom l’indique, La guerre de l’eau met en avant le conflit des bassines qui oppose les agriculteurs et les défenseurs de l’environnement. Il y a d’un côté les agriculteurs qui estiment que ces réserves sont indispensables pour la survie de leur activité et défendent que l’irrigation constante permet une exploitation très rentable (+20% de rendement et double culture). Et de l’autre des militants écologistes qui jugent crucial dans la situation de tension actuelle de protéger et partager au mieux cette ressource. La parole est donnée –de manière équitable- tantôt aux écologistes, tantôt aux agriculteurs, sans aucun échange entre ces deux principaux acteurs. Une opposition bien marquée par les actes de vandalisme et d’agression.

Des projets de bassines et du barrage de Caussade il est finalement peu question, au-delà de leur volume et des usages envisagés. On remarque l’absence de scientifiques dans le film, qui auraient pu mieux mettre en relief certains aspects économiques, hydrologiques ou environnementaux de ces projets. Quel est l’impact réel des bassines sur le fonctionnement hydrologique local, si le pompage se fait en hiver quand il n'y a pas de pénurie d’eau? Quel est l’impact du lac de Caussade sur l’aval, et ne va-t-il pas aussi créer une zone humide avec des effets bénéfiques pour la biodiversité? Les "cultures irriguées sont certes rémunératrices, mais elles sont surtout très gourmandes en eau", selon le documentaire, mais les données de la FAO montrent que le maïs –souvent stigmatisé- n'est pas plus consommateur en eau que du blé (avec respectivement 575 et 550 mm), le problème du maïs étant surtout qu’il nécessite d’être irrigué l’été, lorsqu’il y a le moins d’eau.

On sent le débat est en partie ailleurs: il s'agit plutôt de 'faire jurisprudence' au niveau national, où le débat est encore indécis. Le documentaire présente Caussade comme une réponse à l’abandon de la construction du barrage de Sivens dans le Tarn en 2014, un projet qui a fait face à une confrontation sans précédent entre forces de l’ordre et militants. Suite à une journée d’une violence extrême, un militant est mort, provoquant l’annulation du projet. Cette annulation est un énorme coup dur pour les agriculteurs locaux car, en plus de leur fournir une eau supplémentaire, ce projet devait représenter un exemple de modèle de développement agricole pour le sud-ouest de la France. Il est devenu, au contraire, un modèle de lutte et de contestation pour les militants. Dans le cas des bassines des Deux-Sèvres on sent également, et ceci est indiqué par les opposants, que l’enjeu porte plus largement sur le 'modèle d’agriculture du futur' et leur volonté de mettre un frein à ce qui demain pourrait être généralisé de manière anarchique. De fait, le caractère illégal de certains réservoirs alimente légitimement les doutes sur la capacité de l’Etat à réguler leur développement.

De fait, le reportage ne met guère en lumière la part de responsabilité de l’Etat qui reste relativement absent durant l’ensemble du documentaire. En effet, l’Etat et les aides de la Politique agricole commune (PAC) ne sont pas orientées vers des cultures moins consommatrices en eau (et ont même longtemps subventionné le maïs). Dans le contexte climatique et de transition du modèle agricole, ne serait-il pas plus adéquat de réorienter cette aide vers une culture consommant de l’eau en dehors des périodes sèches ? L’engagement de l’Etat à soutenir une transition vers un nouveau modèle est notoirement timide. Que dire également de son incapacité à agir contre les constructions illégales?

Notons qu'il n’existe pas uniquement des bassines illégales. D’ailleurs, la réglementation est stricte quant à la construction de ces bassines, et cette dernière ne peut se faire que sous un certain cadre institutionnel et opérationnel. La réalisation de ces ouvrages de stockage d’eau nécessite la mise en place d’un dossier avec demande d’autorisation environnementale, respect des instructions gouvernementales, étude d’impact, compatibilité avec la loi sur l’eau, le SDAGE ou encore Natura 2000 (Grimonprez, 2019).

Le film, en ne présentant pratiquement que des bassines illégales, conduit à un débat un peu manichéen, orientant d’une certaine manière les spectateurs à se positionner pour le collectif “Bassines non merci”. Les agriculteurs sont présentés comme des “délinquants environnementaux” agressifs, et l’Etat comme “incapable de faire respecter ses arrêtés”. On ne perçoit peut-être pas assez la distinction entre certains militants campant sur des positions inflexibles et des acteurs écologiques comme France Nature Environnement, qui participeront aux négociations dont il est question à la fin.

Afin de réconcilier les deux parties concernant le projet des 16 réserves dans les Deux-Sèvres, la préfecture a de fait organisé une réunion avec de nombreux acteurs, à l'issue de laquelle un protocole d’accord inédit a été signé. Ainsi, les agriculteurs peuvent continuer à irriguer, seulement s’ils mettent en place des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Comme le soulignent ces exploitants, ils ne sont pas contre une remise en cause de leurs pratiques, mais c’est toute une stratégie économique qu’il faut revoir et qui peut être lourde. On peut néanmoins se demander quel capacité et volonté l’Etat aura de faire respecter des engagement; 10% des agriculteurs seulement semblait les avoir mis en place un an plus tard (New York Times, 2022).

La fin du documentaire laisse une certaine ouverture quant à la solution pour faire face aux enjeux du monde agricole ; stocker l’eau ou en réduire la consommation pour amener à une transition du modèle agricole ? Il faut attendre les 5 dernières minutes, pour entendre le discours d’une agricultrice plus nuancée, dont l’exploitation a été pensée afin d’être le plus économe en eau possible. Une nouvelle manière de dénoncer l'attitude des agriculteurs qui sont présentés, et de suggérer que l’on pourrait faire autrement. Il reste que ce qui est possible à petite échelle ne l’est pas toujours à grande échelle et qu'un désaccord subsiste sur la possibilité d’engager une transition généralisée, ainsi que sur les conditions requises et ses couts. Quant au principe du stockage, quelque peu diabolisé par ce débat, il reste une option souvent incontournable: c'est bien une approche comme celle proposée par Carluer et al. (2016) qui est nécessaire afin de distinguer les différentes configurations techniques et écologiques de stockage dont les impacts peuvent grandement varier. Un stockage n'en vaut pas forcément un autre…

La qualité technique est au rendez-vous; le documentaire propose de belles images et le montage est bien effectué. Il est facile pour chaque téléspectateur de comprendre le sujet ainsi que sa problématique actuelle. Ce documentaire d’actualité traite d’un sujet très controversé et directement lié au questionnement autour des enjeux environnementaux actuels. C’est une bonne introduction qui montre que des compromis sont possibles mais qui laisse l’impression que le conflit reste ouvert et connaitra d’autres rebondissements dans le futur. C'est ce que suggère également la forte opposition actuelle au projet de méga-bassines à Sainte-Soline, qui fait partie du projet dans les Deux-Sèvres présenté dans le documentaire. Les affrontements sont violents et si rien n'est fait, la situation entre les deux camps pourrait passer du mot actuel “tension” au mot “guerre”…

(contributions de Bastien Eudeline et Alexandra Michel)

 

Bibliographie :

Carluer N., Babut M., Belliard J., Bernez I., Burger Leenhardt D., et al. (2016). Impact cumulé des retenues d’eau sur le milieu aquatique. Expertise scientifique collective. Synthèse. [Autre] Irstea., 110 p. hal-02604628

Grimonprez, B. (2019). Le stockage agricole de l’eau : l’adaptation idéale au changement climatique ? Revue juridique de l’environnement, 44, 751-767. https://www-cairn-info.ezpum.scdi-montpellier.fr/revue--2019-4-page-751.htm.

Martin E. (2022). Énergie solaire flottant. Article de blogue. Narasolar. https://www.narasolar.com/fr/energie-solaire-flottante/

Ministère de l’agriculture et de l’alimentation. (2022). La PAC en un coup d'œil. La politique agricole commune 2015-2022. 84p.

https://www.nytimes.com/2022/11/27/world/europe/france-climate-change-water-wars.html

 

Additional Info

  • Director: Alice Gauvin, Eric Maizy et Marielle Krouk
  • Producer: France 2, Envoyé Spécial
  • Language: French
  • Year: 2021
  • Duration (min): 29
  • Theme: Water scarcity, Dams, Environmental degradation, Irrigation & agricultural water management, Groundwater, Water governance, Sustainability, Rivers, Wetlands
  • Access: Free
  • Country: France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 4.5