Le Calavon-Coulon : une rivière sans eau ?

Himala

Synopsis

Ce documentaire propose un portrait du Calavon-Coulon, une petite rivière traversant le Parc Naturel Régional du Lubéron. C’est à travers un film choral, où seize témoignages développent des visions, des explications et souvenirs liés au cours d’eau, que le spectateur découvre le Calavon-Coulon. L’ambition est de donner à voir un tableau sensible de la rivière et de lier son passé, présent et futur aux hommes. En cela, le documentaire s’inscrit tout à fait dans la série Histoires d’hommes et de rivières créée par la branche PACA de l’association France Nature Environnement (FNE), visant à documenter les liens homme-nature en prenant l’exemple de cours d’eau de cette région. La première partie rend compte des aspects géomorphologiques, pédoclimatiques et biologiques. Les phénomènes extrêmes liés à l’intermittence du cours d’eau (inondations torrentielles, assec), les spécificités d’une rivière traversant une formation karstique et de la faune aquatique adaptée à ses conditions sont décrits. Toutefois, le documentaire nous amène à comprendre que l’intermittence du cours d’eau n’est plus seulement naturelle, car elle est aggravée par les prélèvements et le changement climatique. Le déséquilibre quantitatif accroît alors la vulnérabilité des usagers de la ressource en eau.

La seconde partie s’attache à décrire les usages passés (en particulier de la seconde moitié du XXe siècle) et présents. Ces derniers sont envisagés comme autant d’impacts sur la quantité et la qualité de l’eau. L’exemple de la transformation de l’agriculture familiale de cultures sèches en agriculture irriguée intensive à partir des années 1960, dans le cadre de l’apparition de la filière du fruit confit, est particulièrement étayé. L’inadéquation entre la ressource disponible et les prélèvements conduit à qualifier le bassin du Calavon-Coulon de déficitaire. Suite à ce constat, la troisième et dernière partie montre comment des dispositifs pour gérer l’eau et arbitrer entre le milieu et les usages sont mis en œuvre. Des ressources extérieures au bassin hydrographique sont mobilisées (majoritairement la nappe alluviale de la Durance), des ouvrages de substitution comme des forages et retenues collinaires sont également construits pour pallier le manque d'eau du pays du Haut- Calavon. La question de l'adaptation des usages au milieu étant au cœur du documentaire, les solutions palliatives sont ensuite discutées en montrant notamment comment elles déconnectent les hommes de la rivière et ne permettent pas de modifier les comportements. Cette relation est abîmée par l’absence de culture du risque sécheresse comme inondation, et par une baisse de la fréquentation et donc de la connaissance de la rivière. La volonté de prendre soin du cours d’eau et de ses ressources est toutefois présente chez de nombreux usagers, qui pourraient devenir acteurs de la gestion de l’eau et ainsi développer une relation plus forte à celui-ci. C’est donc avec la question de la participation des usagers que se clôt le documentaire, qui a lui aussi contribué à faire participer et témoigner de nombreux usagers. Leurs points de vue enchevêtrés ont (re)créé une personnalité au Calavon-Coulon, laquelle est rappelée par la personnification d’un torrent dans un poème provençal refermant le documentaire.

Analyse critique

Le documentaire a été réalisé par Marie Lusson en 2016, lors d’un stage réalisé à France Nature Environnement, dans le cadre de ses études (FNE, 2016). Elle a depuis réalisé une thèse en anthropologie, intitulée “ Restaurer des rivières à l’ère de l’Anthropocène : Controverses sociotechniques des pratiques réparatrices (Durance, Vistre, Gardons, Drac)”, soutenue en 2021. Nous verrons que le documentaire permet au spectateur de se sentir proche de la rivière et de ses habitants, qu’il met en avant une mosaïque de paroles abordant la rivière sous un registre personnel et sensible, scientifique et gestionnaire. Par sa structure et le choix des témoignages, il a pour but de raviver une culture de l’eau propre au milieu méditerranéen, qui serait à même de faire changer les usages et la place accordée aux milieux aquatiques. Un des partis pris du documentaire consiste à valoriser la nécessité et l’intérêt de prendre en compte l’échelle individuelle (habitants, usagers de la rivière) pour une meilleure gestion des rivières à l’échelle locale.

S’approcher de la rivière et de ses habitants grâce à des choix techniques et artistiques

De par des choix techniques et artistiques, une profonde empathie se dégage du documentaire. La réalisatrice a intégré sa voix au documentaire. Cette voix off raconte le déroulé de son enquête et le spectateur semble donc découvrir les témoignages et avancer dans sa réflexion en même temps qu’elle. Cette voix intervient pour compléter certains témoignages et pour expliquer les transitions entre les trois parties. Les paroles sont richement illustrées par des archives (cartes postales, photos familiales) lorsque les témoins parlent des anciens usages de l'eau. De même, une carte animée permet de situer les lieux évoqués les uns par rapport aux autres. Ces illustrations donnent vie à leur parole, et rendent le documentaire pédagogique. En effet, le rythme du documentaire est posé, des plans plus naturalistes (eau courante, lit sec, faune aquatique) sont intercalés entre chaque séquence d'entretiens et complétés par des ambiances sonores (bruits d'eau, d'oiseaux, de vent) qui donnent vie au milieu. La grande majorité des plans est filmée à hauteur d'homme traduisant la relation "hommes et rivières" que cherche à saisir le documentaire. Quelques plans surplombent toutefois le Calavon, filmés depuis des ouvrages traversant la rivière, et faisant écho aux pratiques quotidiennes des habitants. Néanmoins, la structure du documentaire, bien que pédagogique, (en premier lieu, les caractéristiques écologiques, hydrologiques, géomorphologique du Calavon, puis l’évolution des usages impactant petit à petit le cours d’eau, et enfin les enjeux autour de l’adaptation des usages pour que la rivière retrouve un meilleur fonctionnement), tend à entériner la séparation entre le milieu et l’humain, ce qui est probablement à l’opposé de la démonstration voulue.

Écouter une mosaïque de paroles : entre témoignages sensibles et expertises scientifiques

Lors des entretiens, la réalisatrice à qui s’adressent les témoins, semble les laisser s'exprimer assez librement. Ils comblent alors les silences par ce qui leur semble être le plus nécessaire à transmettre. On pourrait ici reprocher que l'on entend aucune question, on ne sait alors pas ce à quoi les témoins répondent, ce qui d'un point de vue académique peut être critiqué mais rend aussi le documentaire plus agréable. Aucune hiérarchie n'est décelée parmi les paroles des enquêtés, chacune semble légitime, que ce soit celle des experts ou des habitants. En effet, les extraits des entretiens choisis par la réalisatrice se complètent, divergent parfois et nous font comprendre des visions variées autour des pratiques liées à l’eau du bassin versant. Cette mosaïque de paroles, 16 témoins en 37 minutes, reflète la richesse de ce documentaire choral. La réalisatrice choisit de ne pas commenter directement les dires des témoins. Dès lors, quand les témoignages sont trop brefs ou lorsqu’un témoin n’apparaît qu’une fois, le spectateur peut avoir du mal à saisir les nuances qui existent entre eux, d’autant qu’elles ne sont pas explicitées. Le montage permet cependant de faciliter la compréhension des oppositions. On note que sur les 31 interventions de témoins, 14 proviennent d’experts et gestionnaires du cours d’eau, 7 interventions proviennent de personnes ayant une activité agricole, 6 sont des paroles d’habitants, 2 des paroles d’élus, et il y a 2 interventions d’usagers récréatifs (pêcheurs uniquement). Certains interviennent autour de cinq fois, relativement longtemps, et tout au long du documentaire (la Maison Régionale de l’Eau, un écrivain et habitant d’un moulin à eau), quand d’autres n'interviennent qu’une seule fois pour éclairer un enjeu bien spécifique (l’hydrogéologue, deux maires, des habitantes évoquant leurs souvenirs). La part importante d’interventions par des experts et gestionnaires vient du caractère pédagogique du documentaire. En effet, ils interviennent surtout pour diagnostiquer le Calavon et son bassin versant, mais aussi pour confirmer, infirmer ou nuancer les points de vue de certains usagers dont le témoignage sur un enjeu particulier les a précédés. Ces explications permettent à la réalisatrice d’adopter une posture de retrait par rapport aux débats entre solutions palliatives et curatives pour l’adaptation à une moindre quantité d’eau. Ces types d’usagers interviennent sur des sujets souvent assez différents et leurs interventions sont assez brèves. Ainsi, on connaît quelques points d’opposition entre certains d’entre eux (sur les retenues collinaires par exemple) mais il est difficile de se faire une idée de leur avis général. L’absence de certains acteurs peut être signifiante : liée à un choix de la réalisatrice ou aux contraintes lors de son enquête. Contrairement aux maraîchers, les irrigants de grandes cultures ne sont pas présents dans le documentaire. Les industriels, les acteurs touristiques et les touristes ne sont pas interrogés non plus. On peut également regretter que la pêche et la baignade soient les seules activités récréatives représentées à travers les témoignages, en effet, les usagers d’activités récréatives nouvellement implantées (canyoning, spéléologie) auraient pu apporter d’autres points de vue. La baignade est uniquement abordée à travers des souvenirs et semble donc envisagée comme une pratique révolue, de même la pêche est une pratique implantée sur le territoire depuis longtemps. Ainsi, le choix de ne pas présenter les nouveaux usages récréatifs liés à la rivière montre la dimension patrimoniale du documentaire, et permet de le différencier fortement d’un reportage sur le tourisme en rivière.

Raviver la culture de l’eau en milieu méditerranéen grâce aux mémoires

L’intérêt mémoriel du documentaire est très fort. Il contribue à enregistrer les témoignages de personnes ayant connu le Calavon-Coulon avant les années 1960, qui constituent une rupture. Des témoignages illustrent d’abord une époque avec davantage d’eau disponible : les inondations torrentielles, la baignade, l'apprentissage de la nage dans les piscines naturelles du Calavon tranchent avec les images actuelles du lit assec. Cependant, des témoignages contribuent ensuite à rappeler que la rareté de l’eau n’est pas si nouvelle. Les usages passés (une seule lessive (bugade) par an, une fontaine à laquelle il y avait la queue à midi) rappellent que les hommes s’étaient adaptés à la quantité d’eau disponible. Le documentaire semble ainsi plaider pour que les usagers et gestionnaires retrouvent une culture de l’eau et de sa rareté. La “sécurisation” de l’eau sur des “ressources extérieures” dans certains sous-bassins versants de la Durance, a engendré des changements de pratiques agricoles et de consommation domestique (arrosage des pelouses de jardin…) qui témoignent de la perte de cette culture de la rareté de l’eau. Les témoins qui font appel à leurs souvenirs ou à l’histoire sont ceux qui ont tendance à plaider pour retrouver une consommation en lien avec l’eau disponible naturellement à l’échelle du bassin versant du Calavon. Au contraire, ceux qui n’y font pas référence s’expriment plutôt au sujet des solutions techniques (forages, retenues collinaires…) à privilégier, surtout dans le contexte du changement climatique, afin que les prélèvements ne soient pas contraints. Même si de nombreux témoignages insistent sur des changements négatifs impactant le Calavon, on comprend à travers certains témoignages qu’il y a eu des améliorations. Par exemple, les pollutions ponctuelles induites notamment par l’industrie et qui faisaient changer régulièrement le Calavon de couleur ont disparu. Mettre en avant d’autres changements positifs au cours des dernières décennies aurait pu permettre à la réalisatrice de dresser un tableau moins dramatique du Calavon-Coulon.

Faire ressortir l’échelle individuelle au détriment des autres ?

Outre le fait qu’il aurait pu être intéressant de mettre en regard le territoire étudié avec d’autres recouvrant des enjeux comparables, la critique principale qui pourrait être faite au documentaire est de ne pas s’attarder suffisamment sur les autres échelles de gestion du territoire. Le documentaire aurait sans doute gagné en envergure avec plus d’informations sur la gouvernance locale, en ajoutant une dimension politique à la dimension anthropologique. La mise en avant de choix de politiques environnementales aurait pu être explicitée car le documentaire donne l’impression que ce sont soit des choix individuels (consommation d’eau personnelle), soit des dynamiques nationales (agricoles) qui ont conduit aux problèmes évoqués. Expliciter le rôle des acteurs intermédiaires pourrait donner plus d’intérêt géographique au documentaire. En effet, ils ont un rôle politique majeur dans le bassin de la Durance, car ce sont les traducteurs des politiques nationales à l’échelle locale (Laurenceau et al., 2020). En particulier, les méso-institutions comme l’EPTB, la CED, l’AGORA ou le conseil régional ; et les micro-institutions (ASA, SCP, AAPPMA, syndicats de rivières…) contribuent largement à définir la gestion et les politiques de l’eau sur le territoire (GREC SUD, 2021). Les articulations entre ces échelles de gestion sont d’ailleurs un enjeu majeur de gouvernance sur le bassin versant de la Durance (Richard et Rieu, 2019). Le documentaire effleure sur la fin les enjeux du SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) mais cela aurait pu être développé. En effet, la Commission Locale de l’Eau a été instituée dès 1997, ce qui montre qu’il s’agit d’un territoire volontariste, et les deux dernières versions du SAGE datent respectivement de 2015 et 2019 (PNR du Lubéron, 2019). De plus, même si la phase de participation lors d’un nouveau SAGE n’a été rendue obligatoire qu’en 2016 (Massot et al., 2021), le PNR du Lubéron avait déjà mis en œuvre une participation citoyenne, notamment via “une enquête photographique” (id.). Ainsi, le documentaire semble embrasser la politique de gestion du PNR du Lubéron qui a publié le livre Regards et paroles d’habitants sur le Calavon-Coulon (2012), qui visait à donner “une dimension humaine, affective et concrète à la gestion de l’eau souvent trop technique” (Résumé, id.). Enfin, afin de boucler l’esprit du documentaire, les extraits des échanges issus de la projection-débat de novembre 2016 (FNE, 2016) auraient pu être intégrés à celui-ci lors de sa mise en ligne en 2017.

(Contributions de Louise Boisumeau et Noémie Woh, Master 2 GAED Gestion de l’eau et développement local, Université Paris-Nanterre)

 

Bibliographie

FNE Bouches du Rhône, 2016, Le Calavon-Coulon : une rivière sans eau ?, rubrique Infos, URL : https://www.fne13.fr/le- cavalon-coulon-une-riviere-sans-eau/

GREC SUD, 2021, “La gouvernance de la gestion de l’eau sur le bassin versant de la Durance”, 00:28:30, mis en ligne le 18 mars 2021, URL : https://www.youtube.com/watch?v=r62ayCZBrPI&t=603s

Laurenceau M., Molle F., Grau M., 2020, “Reducing water withdrawals : the negotiation and implementation of environmental policy in the Durance River Basin, France”, Water Policy, 1217-1236 pp.

Massot A., Pressurot A. et Trouillet M., 2021, “Le contexte de la participation citoyenne dans la gestion de l’eau en France”,

Sciences Eaux & Territoires, n°35, 6-13 pp., URL : https://doi.org/10.3917/set.035.0006

Richard S. et Rieu T., 2019, “Gouvernance multi-échelles de la rivière Durance en Provence (France) : une ressource en eau rare, historiquement disputée”, Regards géopolitiques, 10 p.

PNR du Lubéron, 2012, Regards et paroles d’habitants sur le Calavon-Coulon, 123 p.

PNR du Lubéron, 2019, Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) du Calavon-Coulon - Plan d’Aménagement et de Gestion Durable (PAGD), 318 p. URL : https://doc-oai.eaurmc.fr/cindocoai/download/DOC/9360/1/1_PAGD révisé SAGE Calavon-Coulon 2019.pdf_175779Ko

 

Additional Info

  • Director: Marie Lusson
  • Producer: FNE Provence-Alpes-Côte-d’Azur
  • Language: French
  • Year: 2016
  • Duration (min): 37
  • Theme: Environmental degradation, Water quality, pollution, Rivers, Water and community, Water cycle & hydrology, Aquatic ecosystems
  • Access: Free
  • Country: France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 2.5
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 5