L'eau ne tombe pas du ciel

H2wOe

Synopsis/contenu du film

Le film entend documenter les effets du changement climatique. Comment la situation a-t-elle pu atteindre un stade si critique, surtout quant à la rareté de la ressource eau ? Comment ces pays (Jordanie, Palestine et Israël), font-ils face à cette problématique du manque d’eau ? Et enfin, qui en paie le prix ?

Le documentaire, réalisé par quatre étudiants de Sciences Po s’attache à répondre à ces questions en allant interroger les acteurs concernés en Jordanie, en Israël et Palestine, afin de rendre compte des difficultés et réalités vécues et d’observer les solutions mises en œuvre dans ces pays, notamment à travers des actions communautaires et les ONGs.

En Jordanie, l’augmentation du taux de natalité et l’afflux massif de réfugiés en provenance des pays limitrophes, a fait exploser la démographie locale. Pays classé parmi les plus pauvres en eau, la Jordanie souffre du tarissement de ses sources d’eau (exemple de la source du mont Nebo), et d’un manque d’eau pour sa capitale Amman. L’achat d’eau de camion-citerne ou en bouteille est le seul recours pour une partie de la population de la capitale pour pallier cette insuffisance. Dans les campagnes, on assiste à la disparition des cultures traditionnelles qui laissent la place à des cultures fruitières à haute valeur ajoutée et exigeantes en eau. Les agriculteurs souffrent de plus en plus des sécheresses qui deviennent de plus en plus longues.

Israël a été confronté à de nombreux conflits avec les pays qui l’entourent. La ressource eau douce étant rare dans cette région du Moyen-Orient, le pays a fait de la gestion de l’eau l’une de ses préoccupations majeures. Israël est d’ailleurs un pionnier dans la réutilisation des eaux usées et la désalinisation de l’eau de mer. Le pays a agrandi son territoire initial et pris le contrôle de la majorité des ressources en eau douce de la région. Mais cette politique ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique et pour certains citoyens. Les progrès technologiques ont de forts impacts sur les écosystèmes et cause la disparition de la Mer Morte.

L’équipe du Film se rend ensuite en territoire Palestinien pour témoigner du rapport de force autour de la question de la gestion de la ressource eau, qui favorise les Israéliens. La Palestine subit de nombreuses restrictions en ce qui concerne la ressource eau de la part d’Israël qui lui a même interdit la construction d’infrastructures de traitement des eaux usées. L’agriculture Palestinienne s’en trouve affectée et les cultivateurs Palestiniens sont souvent forcés de se rendre en Israël. Cette agriculture mute également pour se tourner vers des cultures consommatrices en eau exportant de l’eau virtuelle vers les pays riches.

La question de l’eau au Moyen-Orient est un enjeu stratégique au cœur d’un rapport de force qui favorise qui en a la maitrise. L’eau est devenue une ressource géostratégique qui suscite convoitise et tension dans le Moyen-Orient. Une ONG, Friends of the Earth for the Middle East, s’est donné pour mission de ramener la paix entre les trois pays sillonnés par l’équipe du film à travers le projet PeacePark.

Analyse critique et compléments

Jordanie

La Jordanie est un pays majoritairement désertique confronté à de nombreuses difficultés de disponibilité en eau. C’est le quatrième pays le plus 'pauvre en eau' (Bigiaoui, 2014). Consciente de sa vulnérabilité, la Jordanie a signé des traités de paix et des accords de partage d’eau avec ses voisins israéliens, syriens et saoudiens (Anon, 2018). Le film présente la situation de stress hydrique du pays couplée à l’afflux massif de réfugiés en provenance de Syrie, qui placent le pays dans une situation relativement précaire. Le film fait état de 600,000 réfugiés en se basant sur les chiffres du HCR, mais en 2015, un recensement du gouvernement Jordanien a dénombré 1,3 million de réfugiés syriens en Jordanie, soit 20% de la population  (Monfleur, 2018). Le film aborde également la question de l’allocation de l’eau à Amman : la ville utilise plus de 40% de l’eau du pays et montre des défaillances techniques et administrative quant à la gestion de ses réseaux d'eau, liées notamment aux fort relief de la ville qui nécessite une pression élevée et génère beaucoup de pertes.

L’Etat jordanien a procédé à partir de 1987 au rationnement de l’eau apportée aux ménages à cause de pénuries successives. A cause de ce rationnement la distribution d’eau n’est réalisée qu’une ou deux fois par semaine sur l’ensemble du pays à l’exception de certains quartiers de Amman qui reçoivent l’eau une fois tous les deux jours, bien que 98% de la population soit raccordé au réseau de distribution. Les habitants sont obligés de stocker leur eau dans des réservoirs exposés aux aléas climatiques sur les terrasses et les toitures des maisons, avec tous les risques sanitaires que cela comporte (Darmame et Potter, 2009).

Ce mode de gestion cache une grande disparité économique, avec 40 % des foyers les plus pauvres qui ne possèdent qu’un réservoir de 2 m3 et 56 % des plus riches qui possèdent un réservoir de plus 8 m3, atteignant jusqu'à 70 m3 pour certains foyers. Le documentaire montre que les quartiers riches situés à l’ouest de la ville et les complexes hôteliers utilisent des volumes importants pour alimenter les piscines et jardins tandis que les quartiers pauvres sont desservis avec une eau de mauvaise qualité dans des canalisations en métal qui doivent être changées périodiquement à cause de la rouille  (Darmame et Potter, 2009). La production d’eau en 2004 a été estimée à 105 millions de m3, dont la moitié est perdue sous forme de fuites dans les réseaux ou de branchements illicites. Les plus pauvres n’ayant pas toujours les moyens d’assurer l’entretien de leurs réservoirs, se voient contraint d’acheter l’eau à ceux qui disposent de réservoirs de qualités et/ou d’acheter l’eau en bouteille (Darmame et Potter, 2009).

La Water Authority of Jordan (WAJ), instance chargée de distribuer l’eau en Jordanie doit travailler à renouveler ses installations de distribution d’eau afin de garantir à une plus grande partie de la population un accès à l’eau. Suez s’était également engagé à rénover les réseaux lors de la signature du contrat de partenariat publique privé en 1999. En 2006, à échéance du terme, la WAJ admet ne pas avoir obtenu d’amélioration significative par la passation de ce contrat.

Israël et Palestine

La rareté de la ressource en eau au Moyen-Orient pousse Israël à accorder une grande priorité à la gestion de la ressource en eau. D’après la FAO « L’eau est considérée comme un atout national en Israël et elle est protégée par la loi » (FAO, 2008). En Israël et surtout en Palestine, la situation est très dégradée comme montré dans le documentaire. Israël dit manquer d’eau pour répondre à la pénurie en territoire palestinien, bien qu'elle se soit accaparée l’essentiel des eaux du Jourdain. Une des conséquences les plus spectaculaires de la surexploitation de cette rivière est le recul de la Mer Morte. Celle-ci a vu son niveau s’abaisser de 30 mètres depuis 70 ans, soit une baisse de 0,43 m par an mais cette baisse n’est pas uniforme et s’est accélérée dans les dernières décennies pour atteindre 1 m par an en 2009  (Ghazleh et al., 2011), puis 1,45 m par an en 2019  (Nuwas, 2019). Cela se traduit par l’apparition de trous d’effondrement (sinkholes) sur les bords de la mer Morte  (Demeure, 2017).

Les interviews du documentaire montrent bien comment les Palestiniens sont confrontés à l’arrivée de colons israéliens qui accaparent leurs terres et sources en eau. D’autre part, Israël empêche les Palestiniens de construire des usines de traitement des eaux et des puits et utilise la force pour maintenir ce déséquilibre, dans un contexte de forte asymétrie de pouvoir. La source d’Al Auja, qui est l’une des plus grandes sources d’eau en Palestine, procurait plus de 9,2 millions de mètres cubes et la région était connue pour ses productions agricoles telles que les dattes, les bananes, et le citron (Dobricic, 2013). Aujourd’hui, la superficie des terres agricoles a fortement diminuée du fait des forages réalisés par les colons israéliens. En effet, il y a 37 colonies israéliennes établies dans la vallée du Jourdain. Ces colons israéliens vivent avec environ 300 à 400 litres d’eau par jour alors que les Palestiniens vivent avec moins de 100 litres d’eau par jour (à titre de comparaison la consommation française est de 120 litres/j/p) (OCHA, 2012). Des forages implantés par la compagnie israélienne de distribution d’eau (Mekerot) non loin de la source d’Al Auja, associés à une faible précipitation dans la zone, ont contribué à réduire progressivement le débit de la source, jusqu’à son tarissement partiel. Aujourd’hui cette source ne débite plus qu’en hiver, alors qu’elle était permanente dans les années 60 (Trottier, 2011). L’eau reçu par la ville de Auja est entièrement délivrée par Mekerot, la compagnie israélienne de gestion de l’eau (Brooks & Trottier, 2012).

D’après les dernières prédictions du GIEC, la situation n’ira pas en s’améliorant avec une prévision de réchauffement de 3,7 °C au niveau mondial dans le scénario actuel à l’échelle mondiale. Ce qui au niveau du Moyen-Orient pourrait se traduire par des augmentations de + 7 à 11 °C par rapport à la période de 1985 à 2006  (Pachauri et al., 2015), aggravant le stress hydrique de ces régions et accentuant les potentialités de conflits liées à l’eau. Par exemple, alors qu'en 2017, Elath subissait 174 jours à 32 °C ou plus, en 2080 cette valeur pourrait être de 194 jours  (GIEC, 2018).

Le film tente de terminer sur une note plus positive et interviewe Gidon Bromberg, le président des Amis de la Terre en Israël. C’est aussi le fondateur et directeur de l’ONG Ecopeace qui œuvre pour la recherche de la paix à travers les objectifs communs de préservation environnementale entre l’Israël, la Jordanie et la Palestine. Il a ainsi mis en place le projet Water for Peace, à cheval sur les trois pays. Les actions entreprises par cette ONG pourraient aboutir si elles étaient soutenues par les politiques des trois pays. Avec l’aide du programme EcoPeace, il est possible que la source d’Al Auja soit restaurée et l’adduction en eau de Amman améliorée. Cependant cette démarche bien que louable ne saurait résoudre les conflits qui animent cette région du monde. En effet les tensions sont grandes entre Israël et la Palestine, et elle ne se réduisent pas uniquement au problème de la gestion de l’eau mais s’expliquent également par des facteurs historiques, religieux, militaire et économiques. L’évolution récente des relations entre Israël et la Palestine ne va pas dans le sens d’une amélioration mais plutôt vers une dégradation, avec un rapport de force très inégal et favorable à Israël, et l’optimisme de la conclusion du film est peu convaincant.

Ce documentaire présente Israël comme un pays qui dispose de beaucoup d’eau et est peu disposé à la partager avec ses voisins qui en manquent. A la différence de ses voisins, Israël possède une technologie avancée (à travers les usines de désalinisation des eaux, les stations de traitement des eaux usées, etc), pour pallier la rareté de son eau. Israël met en œuvre aussi des moyens considérables pour améliorer les techniques d’irrigation et les rendre plus économes en eau, et développe des techniques de recharge des nappes. Aujourd’hui Israël compte plus de 250 000 ha de cultures irrigués au goutte à goutte (FAO, 2008).

Cette situation contraste avec le sort de ses voisins et notamment des palestiniens. Un des points qui n’est pas abordé dans le documentaire est la situation de l’accès à l’eau dans la bande de Gaza, une situation dramatique. La zone est isolée et fortement dépendante de la nappe qui se salinise progressivement. Enfin il faut noter que, d’après les commentaires du film sur la plateforme viméo, un des agriculteurs Palestiniens qui témoignent dans le film, Khaled Mukarker, s’est retrouvé en prison pour ses propos et serait détenu dans la prison d’Ofer. Il intervenait dans le film pour rapporter la diminution des volumes d’eau issus de la source d’Auja qui alimentait son réservoir, et les conséquences locales de l’accaparement des ressources par les Israéliens (les paysans Palestiniens revendent leurs terres à bas prix et se retrouvent à travailler dans les exploitations des colons).

Ce film amateur, tourné par des étudiants, est malgré tout visuellement et techniquement assez abouti. Les problématiques sont assez clairement exposées même si elles sont parfois peu approfondies. Enfin ce film met clairement en évidence l’aspect politique de la gestion de l’eau au Moyen Orient.

Mots clés et biblio pour aller plus loin sur le sujet

Anon. 2018. L’eau, « une question de sécurité nationale » pour la Jordanie. Dans : LExpress.fr [En ligne]. Disponible sur : https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-eau-une-question-de-securite-nationale-pour-la-jordanie_1993250.html (Consulté le 16 novembre 2019).

Bigiaoui, L. (réalisateur). 2014. L'eau ne tombe pas du ciel. Disponible sur : https://vimeo.com/100333076 (Consulté le 16 novembre 2019).

Darmame K. et Potter R.B. 2009a. Gestion de la rareté de l’eau à Amman : rationnement de l’offre et pratiques des usagers. Espaces et societes, n° 139(4), p. 71‑89.

Demeure, Y. 2017. L’alarmante situation de la mer Morte et ses trous d’effondrement. Dans : Sciencepost [En ligne]. Disponible sur : https://sciencepost.fr/lalarmante-situation-de-mer-morte-trous-deffondrement/ (Consulté le 15 novembre 2019).

Dobricic, K. 2013. Water scarcity in the Jordan Valley; Impacts on Agriculture and Rural livelihoods : Threaths and opportunities to local sustainable agriculture; the case of al-Auja, Jordan River Valley. Disponible sur : http://urn.kb.se/resolve?urn=urn:nbn:se:uu:diva-208205 (Consulté le 15 novembre 2019).

Ghazleh, S., Abed ِa., et Kempe, S. 2011. The Dramatic Drop of the Dead Sea: Background, Rates, Impacts and Solutions. Abu Ghazleh, S., Abed, A.-A. & Kempe, S., 2011: The dramatic drop of the Dead Sea: background, rates, impacts and solutions. – In: Badescu, V. & Cathcart, R.B. (eds.), Macro-engineering Seawater in/and Unique Environments. Arid Lowlands and Water Bodies R, DOI : 10.1007/978-3-642-14779-1_4

ICPP/GIEC. 2018. Summary for Policymakers (AR5) (5). Disponible sur : www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/05/SR15_SPM_version_report_LR.pdf (Consulté le 17 novembre 2019).

Monfleur L. 2018. Les réfugiés syriens en Jordanie (1/2) - Les clés du Moyen-Orient. Disponible sur : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-refugies-syriens-en-Jordanie-1-2.html (Consulté le 15 novembre 2019).

Nuwas A. 2019. La mer Morte se meurt. Dans : Actuailes [En ligne]. Disponible sur : https://www.actuailes.fr/page/1630/la-mer-morte-se-meurt (Consulté le 15 novembre 2019).

Pachauri R.K., Mayer L., et Intergovernmental Panel on Climate Change, éd. 2015. Climate change 2014: synthesis report. Geneva, Switzerland : Intergovernmental Panel on Climate Change, 151 p.

Trottier, J. 2011. Taking account of local water issues when tackling an international water conflict.  The case of Al Auja. Friends of the Earth – Middle East

UNICEF. 2019. Searching for clean water in Gaza. Dans : UNICEF Connect [En ligne]. Disponible sur : https://blogs.unicef.org/blog/searching-clean-water-gaza/ (Consulté le 15 novembre 2019).

Wolfrom, L. 2018. L’eau, « une question de sécurité nationale » pour la Jordanie. Dans : LExpress.fr [En ligne]. Disponible sur  www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-eau-une-question-de-securite-nationale-pour-la-jordanie_1993250.html (Consulté le 16 novembre 2019).

Contributions de Vincent Thomas et N'guessan Yao

Additional Info

  • Director: undefined
  • Producer: Henry Tidy
  • Language: French
  • Year: 2013
  • Duration (min): 56
  • Theme: Water supply, Water scarcity, Irrigation & agricultural water management, Water quality, pollution, Water governance, Transboundary waters
  • Access: Free
  • Country: Jordan
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 3
  • Academic quality: 3
  • Social interest: 4