Ils ont bâti le plus haut barrage du monde, la Grande Dixence

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Synopsis

Le documentaire débute par une vue hivernale du barrage de la Grande-Dixence et les montagnes enneigées valaisannes depuis un hélicoptère dont le bruit des pales est couvert par le 2e mouvement de la 7e symphonie de Beethoven. Une voix off compare le barrage à un être vivant, un « monstre » avec une « mâchoire », un « corps », des « artères », des « veines » remplies d’eau, un « cœur », et la première partie du documentaire nous plonge dans les « entrailles de la bête ». La voix off rappelle aussi que le monstre est une création humaine, de « l’homme immense par son génie ». Cette création aurait été le rêve de plusieurs générations, et sur ces premiers éléments le sujet du documentaire est posé : quels sont les « hommes » qui lui ont donné vie et comment font-ils pour le garder vivant aujourd’hui ?

Lorsque la musique s’arrête, le spectateur se retrouve plongé dans l’un des nombreux tunnels du barrage où la caméra suit des employés d’HydroExploitation – l’entreprise en charge de l’entretien du barrage – à bord d’un 4x4. Les employés mesurent les débits à différents endroits du complexe en circulant dans la partie souterraine de l’infrastructure dont les tunnels s’étendent sur plus d’une centaine de kilomètres – l’un des employés estime avoir parcouru plus de 70 000 km à l’intérieur du barrage en vingt-cinq années travaillées – et effectuent les maintenances d’hiver. La parole est ensuite donnée à d’autres employés chargés de la surveillance de l’infrastructure. Puis, des images d’archives montrent quelques scènes liées à la construction de l’ouvrage, ce qui permet de faire une transition entre le travail d’entretien et le travail de construction, et notamment le travail des mineurs. Le parallèle entre les différentes générations d’hommes travaillant pour la Grande-Dixence se poursuit avec le témoignage d’un ancien ouvrier italien qui a immigré en Suisse pour participer à la construction du barrage et de ses tunnels, puis le témoignage de son fils qui est l’un des employés en charge de l’entretien du complexe aujourd’hui.

Avec l’arrivée du printemps puis de l’été, le documentaire se poursuit en alternant le suivi des employés en charge de l’entretien de l’infrastructure – le contrôle des prises d’eau notamment, la réalisation de purges sont montrés – et les témoignages d’anciens ouvriers ayant participé à la construction du barrage et de ses tunnels, en décrivant leurs conditions de travail parfois difficiles. Le documentaire se penche ensuite plus généralement sur le développement économique et social permis par le barrage et le rôle socioculturel de l’infrastructure. Les témoignages de différents ouvriers, recueillis lors d’une célébration religieuse sur le site de barrage, sont convoqués pour décrire la vie en Valais avant la construction du barrage. Des images d’archives, sur un fond de musique folklorique, montrent le quotidien dans les alpages, les journées à s’occuper du bétail, à bêcher des champs pentus. D’autres images donnent à voir les cantines de chantier où des ouvriers de tous les âges venaient se restaurer après 11 heures de travail.

Le documentaire se conclut avec de nouvelles images du lac en hiver vu depuis l’hélicoptère, des plans sur la montagne et sur le Cervin, la suite de la septième symphonie de Beethoven et des courts témoignages sur le futur du barrage dans le contexte du changement climatique et sur la nécessité de préserver l’infrastructure pour rendre hommage aux anciens travailleurs.

Analyse

De manière semblable à un documentaire suisse plus ancien sur le barrage de la Grande-Dixence (Time of the Titans, d’Edgar Hagen, 2001), plusieurs éléments présents dans le film rappellent les discours habituellement tenus sur les grands barrages et qui ont été étudiés par la littérature scientifique, par exemple le discours moderniste qui accompagne la construction des barrages (Boelens et al., 2019). La voix off, les extraits d’archives, les témoignages des employés actuels comme des anciens mineurs rappellent à différents moments du film les dimensions de l’ouvrage et insistent sur son immensité ; le mur, montré comme colossal par des vues en contre-plongée ou des plans aériens, est décrit comme « une petite partie de l’iceberg » puisque le complexe, dans son ensemble et avec toutes ses galeries, constituerait un « emmental gigantesque ». Le travail humain qui a permis de produire cette infrastructure « extraordinaire » est mis à l’honneur ; les difficultés de ce travail sont évoquées mais les conséquences possiblement négatives, notamment sur la santé des mineurs, ne sont pas abordées (contrairement au documentaire Time of the Titans). Le discours moderniste se retrouve aussi dans les témoignages qui expliquent comment le barrage a permis le développement de toute la région : la construction de routes, le renforcement des liens entre la montagne et la vallée, la modernisation de la vie agricole, l’amélioration des conditions de vie (« avec la Grande-Dixence, tout le monde a eu des salles de bain »), et même le développement du fond de vallée.

Le documentaire s’éloigne par moments du discours moderniste, ce qui lui confère d’autres intérêts du point de vue académique. Alors que Time of the Titans montrait des ouvriers qui se battaient contre la nature pour construire l’infrastructure, Ils ont bâti le plus haut barrage du monde donne à voir les enjeux actuels de la gestion et de la maintenance de grands barrages vieillissants au travers des témoignages d’employés chargés de l’entretien du barrage qui expliquent travailler en « symbiose » avec la nature. L’infrastructure n’est pas présentée comme opposée à la nature, mais plutôt comme intégrée à celle-ci. En parcourant des galeries, un employé explique que ces tunnels sont marqués par la vie de la montagne, qu’on y entend l’eau, les cailloux. Par son travail, il considère être près de la nature, une nature décrite comme « immaculée » malgré la présence du barrage.

Le documentaire est aussi intéressant par sa manière d’aborder l’entretien des infrastructures. Si l’on sent que certaines affirmations visent à rassurer un public qui pourrait avoir de potentielles inquiétudes concernant la sécurité de l’infrastructure – le barrage est décrit comme « truffé d’appareils de mesure », les purges de contrôle des collecteurs sont montrées à l’écran, etc. –, les scènes montrant l’entretien de l’infrastructure évoquent aussi la question de la maintenance des infrastructures hydrauliques, notamment des infrastructures vieillissantes, qui a émergé depuis quelques années comme sujet d’étude dans les travaux en sciences sociales sur l’eau (Barnes, 2017).   Les témoignages des employés chargés de l’entretien laissent aussi entrevoir la question du soin, du care, apporté aux infrastructures, une question émergente dans les études sur les infrastructures hydrauliques (Buser and Boyer, 2021).

En conclusion, le documentaire présente un intérêt académique notamment par les discours qu’il laisse entrevoir sur les barrages et leurs évolutions dans le temps, notamment les évolutions récentes en lien avec la problématique de la maintenance des infrastructures (vieillissantes) qui soulève de multiples questions dans le contexte du retour des concessions des barrages et des changements environnementaux globaux. S’il ne s’agit pas d’un panorama complet sur la construction, l’entretien et les impacts du barrage (ses impacts environnementaux par exemple ne sont pas du tout évoqués), la double perspective – travail de construction et travail de maintenance – est originale et intéressante.

 

Silvia Flaminio

 

Références

Barnes, J. 2017. States of maintenance: Power, politics, and Egypt’s irrigation infrastructure. Environment and Planning D: Society and Space 35(1): 146–164, https://doi.org/10.1177/0263775816655161.

Boelens, R.; Shah, E. and Bruins, B. 2019. Contested Knowledges: Large Dams and Mega-Hydraulic Development. Water 11(3): 416, https://doi.org/10.3390/w11030416.

Buser, M. and Boyer, K. 2021. Care goes underground: thinking through relations of care in the maintenance and repair of urban water infrastructures. Cultural geographies 28(1): 73–90, https://doi.org/10.1177/1474474020942796.

Additional Info

  • Director: Pascal Magnin
  • Producer: Radio Télévision Suisse, émission « Passe-moi les jumelles »
  • Language: French
  • Year: 2017
  • Duration (min): 53
  • Theme: Dams
  • Access: Free
  • Country: Switzerland
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 3