La guerre de l'eau: L'âge de l'eau

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 Synopsis /Contenu :

Ce film-documentaire est le premier volet d’une trilogie sur l’eau dans l’histoire des sociétés. Il aborde à travers de nombreux exemples de projets hydrauliques dans le monde la relation entre les sociétés et leurs ressources en eau.

En Afrique du Sud, une zone désertique a été transformée en un eldorado aquatique de luxe grâce à des aménagements hydrauliques (Sun City) en utilisant les eaux souterraines. En Égypte, l'eau du Nil a toujours été l’élément central du développement de sa civilisation; le gouvernement Moubarak entreprend le méga-projet de Toshka qui s'approvisionne en eau directement dans le Lac Nasser. L’URSS de Staline, quant à elle, projetait de détourner les fleuves sibériens vers l’Asie centrale très aride. Ce projet a été arrêté par Gorbatchev qui le considérait comme pas assez rentable et pouvant causer une catastrophe écologique. Plus récemment il a été dépoussiéré et relancé par l’Ouzbékistan et des personnalités russes qui y voient la possibilité de développer les sociétés d’Asie Centrale, l’opportunité de sauver la mer d’Aral, d’accroître l’irrigation en Asie Centrale, et de servir les intérêts politiques russes. La Chine a, elle, opté pour la construction de trois grands canaux alimentés par le fleuve Yang Tsé pour desservir le nord surexploité (300,000 puits se seraient asséchés) avec les eaux dites 'excédentaires' du sud. Des campagnes de sensibilisation contre le gaspillage d’eau sont organisées ainsi que de la pluie artificielle par bombardement chimique des nuages au moyen d’une batterie de 37,000 canons… Mais tout ceci reste insuffisant et l’homme doit maintenant innover pour maîtriser l’eau en prenant en compte les différentes pressions grandissantes. Comme réponse au manque d’eau douce, la Floride a construit des usines de dessalement de l’eau de mer. La recherche de nouvelles sources d’eau mène à la découverte de ressources souterraines en Amérique du Sud (le Guarani). En Islande, c’est le passage à l’ère de l'hydro-société par le biais de l’utilisation de l’eau comme nouvelle source d’énergie principale.

 Analyse critique

Ce documentaire expose les enjeux géopolitiques ou sociétaux pesant sur la ressource en eau à l’échelle mondiale, poussant les humais à entreprendre de grands aménagements hydrauliques qui ne sont pas sans conséquence. Il nous propose donc de réfléchir aux interactions entre les sociétés et leurs ressources en eau en s'intéressant en particulier aux grands projets hydrauliques.

Ces projets permettent de mettre en exergue la dualité des impacts des grands projets et l’importance  de tenir compte en même temps de la société, de l’environnement et de l’économie. Le film met en avant les réalisations et les attendus de ces grands projets. Sun city en Afrique du Sud est l’exemple d’une mise en valeur originale de l’eau qui permet l’essor du tourisme et par conséquent une croissance économique. Le projet Sibaral pourrait développer les sociétés d’Asie centrale et sauver la mer d’Aral, tandis que le transfert Sud-Nord en Chine pourront augmenter la surface de terre cultivable au nord du pays, stabiliser la production et les marchés alimentaires, et sauver le nord très peuplé d’une pénurie d’eau. L’aquifère du Guarani pourra fournir des quantités d’eau inimaginables si on le protège des pollutions. Les usines de dessalement pourront augmenter la ressource pour les zones côtières.

Mais si les projets évoqués semblent être des solutions à la crise de l’eau ils sont aussi impactants qu'innovants. Ces projets ont des conséquences massives sur les hydrosystèmes, l’environnement et la biodiversité, le partage de la ressource, et les sociétés. L’utopie tropicale de Sun City devient presque obscène alors que les problèmes d’eau du pays s'accentuent. On voit qu'ils ne sont aussi par exempts de calculs politiques (e.g. Sibaral) et qu'ils servent aussi à légitimer les régimes en place à travers la symbolique de puissance associée au mégaprojet et à leurs promesses (eg Toshka en Egypte, "projet gigantesque 100 fois plus important que les pyramides", "sans équivalent dans le monde"; dont les "pompes peuvent créer un second Nil (…) et "faire fleurir le désert" en "permettant l’installation de millions de personnes").

Des petites phrases de rappel sur l’extravagance et la démesure de ces projets servent à corriger une narration qui semble parfois presque céder à l’enthousiasme devant la nature et les promesses extra-ordinaires de ces projets (Toshka, "un projet capital pour les génération futures", selon le ministre Abu Zeid, "devrait révolutionner l’histoire de l’Egypte!" Il est heureusement également fait mention des critiques qu'a reçues ce projet qualifié « d’arrogance humaine » aux coûts exorbitants). Un message sous-jacent est que si l’homme ne cesse de tenter de dominer l’eau avec ses projets, en définitive c’est souvent l’eau qui domine les sociétés en retour. Les innovations présentées à la fin (l’usine de dessalement en Floride qui "marquera peut être la fin des problèmes d’eau de l’humanité", ou la voiture à eau en Islande) sont évoquées avec une tonalité plus optimiste, gardant une certaine confiance dans la capacité d’innovation des sociétés à "se libérer du carcan que l’eau fait peser depuis toujours sur le devenir de nos sociétés".

Ce film se situe à un niveau méta-historique, ce qui explique que bien que datant de 2008 il garde toute sa pertinence. Il ne s'intéresse pas directement aux populations concernées (aucun témoignage ou interview n'est proposé) et aborde peu les conséquences des projets. Il reste donc assez superficiel et l’on aurait souhaité une analyse un peu plus poussée des intérêts financiers, bureaucratiques et politiques associés à ces grands projets; chose que leur nombre et diversité auraient permis d’illustrer sans difficulté. En manquant d’approfondir ces thématiques communes, le film peut parfois donner l’impression de juxtaposer des 'histoires d’eau' de manière un peu décousue.

Sur la forme, le film est de très bonne qualité, avec quelques documents d’archives, plongeant le spectateur dans un voyage dans le temps et à travers le monde, au fil de l’eau. Le film commence par une musique intrigante, voire alarmante, et des intervenants aux prédictions un peu apocalyptiques pour l’eau et l’homme. Ceci tient le spectateur en haleine et souligne l’ampleur et la gravité de la thématique.

En résumé, ce film, de très bonne qualité sur la forme et le fond, fera découvrir au spectateur de nombreux projets hydrauliques pas forcément très connus, tout en les sensibilisant aux dangers et illusions du contrôle de la nature à grande échelle.

(avec une contribution de Elodie Damois et Miriame Houssou)

 

Autres ressources Water Alternatives

Themed Section: Hydraulic Bureaucracies: Flows of Water, Flows of Power

Special issue: The (Re)turn to Infrastructure for Water Management

https://www.water-alternatives.org/index.php/current-issue/1895-articles-toc/vol10/308-issue10-2

Book review: Water, Technology and the Nation State (Menga and Swyngedouw, 2018)

https://www.water-alternatives.org/index.php/boh/item/28-state

 

Références bibliographiques:

Comby, E.; Dournel, S.; Gaydou, P.; Labeur, C.; Rivière Honegger, A. et Valy, ?. 2015. “Pour reconstituer l’histoire des relations entre sociétés et milieux aquatiques”. Dans Anne Rivière-Honegger, Marylise Cottet, Bertrand Morandi, Connaître les perceptions et les représentations : quels apports pour la gestion des milieux aquatiques ?, pages 56-83, Comprendre pour agir.

Tvedt, TT.; Hanneman, E.; Taylor Larsen, A. and Stengard, R.V. La guerre de l’eau : l’âge de l’eau. 2014. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01248761/file/Honeggeretal_2015.pdf

Demeure. Y. 2018. Afrique du sud : le jour 0 du manque d’eau arrive bientôt. Science Post. Disponible sur : https://sciencepost.fr/afrique-sud-jour-0-manque-deau-arrive-bientot/

 

 

Additional Info

  • Director: Terje Tvedt
  • Producer: Erik Hanneman, Anders Taylor Larsen et Robert V.Stengard
  • Language: French
  • Year: 2008
  • Duration (min): 51
  • Theme: Dams, Irrigation & agricultural water management, Sustainability, Water politics, Supply management, Hydraulic mission
  • Access: Free
  • Country: USA, Egypt, South Africa, China, Central Asia
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4
  • Academic quality: 4
  • Social interest: 3.5