La Guerre de l'eau en France

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Synopsis du film

Le film intitulé La guerre de l’eau en France est un documentaire produit par la chaîne ARTE en 2020 dans le cadre d’une initiative commune de médias français et européens suite aux épisodes de sécheresses de l’été 2020. Le documentaire met en avant la problématique de gestion de l’eau en France, les difficultés d’adaptation ainsi que les conflits qui résultent entre acteurs. Le film aborde un grand nombre de thèmes et de problème liés aux pénuries d'eau.

Durant l’été 2020, les consommateurs font face à de multiples restrictions d’usage, interrogeant l’état des réserves en eau et obligeant à recourir à des camions citernes. Le constat est clair, le niveau des cours d’eau et des nappes s’abaisse au fil des années, la consommation dépasse ce que le milieu peut fournir. Face à ce constat, on tente alors de trouver des solutions pour augmenter l’offre en eau. Parmi les solutions proposées, le recyclage direct des eaux usées, qui existe déjà dans d’autres pays comme la Namibie ; ou encore la domotique (techniques de gestion) d’un immeuble grenoblois expérimental, conçue pour économiser l’eau.

La technologie n’est pas seulement utilisée chez les particuliers. Les agriculteurs notamment utilisent des canons anti-grêle censés limiter la taille des grêlons en les cassant et protéger les cultures fragiles. Bien que son efficacité ne soit pas prouvée, on les retrouve principalement à proximité des vignes et vergers où ils sont à l’origine de nuisances sonores pour les hameaux environnants. Leur adoption n’est qu’un exemple d’une tendance plus globale de géo-ingénierie, de maîtrise des éléments. La construction de bassines par des agriculteurs en France répond elle aussi à cette logique. L’objectif est de capter et stocker l’eau provenant des nappes phréatiques, mais cela se fait souvent au détriment des habitants et communes qui en dépendent. Pour montrer cette interdépendance des acteurs, l’Andalousie donne un exemple édifiant. Bien qu’étant un des endroits les plus arides d’Europe, elle exporte ¾ de sa production agricole, particulièrement en France. Pour supporter ce modèle d’agriculture intensive sous serre, les forages clandestins se multiplient et ont pour conséquence de déséquilibrer l’écosystème de la région. Les marchés internationaux jouent également un rôle majeur dans la sollicitation des ressources souterraines. Face à ces agissements les associations de défense de l’environnement alertent sur le non-respect des réglementations vis-à-vis des forages et permettent parfois de traduire en justice les contrevenants.

Le reportage se déplace alors dans les gorges de l’Hérault où une visite spéléologique permet de visualiser la baisse de la nappe karstique. La pénurie d’eau entraine une récurrence des feux de forêts dus aux sécheresses, mais aussi un affaissement des sols qui fragilise le bâti. Une réponse consiste à traquer l’eau dans "les entrailles de la terre" à travers des antennes géantes tractées par des hélicoptères.

Analyse critique

Ce reportage s'ajoute à la série de documentaires sur la 'crise de l’eau', qui choisissent de mettre en avant certains aspects des pénuries, inondations, pollutions ou conflits qui font l’actualité, ou sont encore au stade d’innovation expérimentale. Il déroute quelque peu par l’enchainement de sujets hétéroclites, allant de la réutilisation des eaux usées ou des bassines aux puits illégaux d’Andalousie, en passant par les canons anti-grêle et la domotique visant à économiser l’eau. Chaque sujet est intéressant en soi mais le spectateur peut être déconcerté par le caractère un peu décousu du scénario.

Sur la question d’actualité des bassines, le reportage montre les actions des militants écologistes et des collectifs de riverains sous un jour favorable, comme des contrepoids face aux agriculteurs et garantissant une forme de justice sociale. Leurs arguments se fondent sur les dispositions du Code de l’environnement qui font de l’eau le patrimoine commun de la nation et stipule l’obligation de respecter l’équilibre des écosystèmes et le partage équitable de la ressource pour tous.1 Les agriculteurs quant à eux sont dépeints très négativement puisqu’ils sont associés à une agriculture intensive et polluante qui affecte l’ensemble de la société. Contrairement à ce qui est avancé, les agriculteurs ne peuvent pas méconnaître les réglementations relatives à l’utilisation des canons. Un arrêté préfectoral dans le Tarn et Garonne datant de 2004 stipule que leur installation est interdite à moins de 250 m des habitations et leur utilisation interdite le soir.2 Pourtant en 2018, on note toujours des nuisances dues à leur usage. C’est finalement par manque de moyens que cette réglementation n’est pas appliquée, ce qui exacerbe les conflits de voisinage.3

La consommation en eau dépend du type de culture, des variétés plantées et du climat, mais le choix des agriculteurs de développer des cultures peu adaptées au milieu est motivé par d’autres facteurs. La rentabilité du maïs irrigué est garantie en partie par sa productivité en tonnes/hectare¹⁰ et le prix du marché, qui le rendent plus intéressant que le blé ou le riz. C’est ce qui motive la construction de méga-bassines, jugées néfastes par des collectifs et associations, car elles prélèvent une grande quantité d’eau souterraine pour la stocker en surface, causant la baisse de la nappe et l’évaporation d’une partie de cette eau.

On constate finalement dans ce documentaire (comme dans la réalité peut-être) l’absence de l’État qui peine à faire respecter les réglementations existantes (canons anti-grêle, bassines…) et tarde à légiférer sur plusieurs problématiques (dont les eaux usées…). Au vu des dernières sécheresses qu'a connues l’Europe, la Commission Européenne vient cependant de finaliser un règlement visant à encadrer le recyclage des eaux usées8.

Certaines problématiques sont passées sous silence. Premièrement, l'utilisation des eaux usées ne dépend pas que de la législation française et européenne mais aussi de son acceptabilité par les consommateurs. Rémy Barbier parle de facteur « beurk » qui varie selon les usages qui sont faits de cette eau, de la culture nationale, et du système de gestion de l’eau déjà existant. De plus, si le recyclage de l’eau, illustré par la Namibie, revient à enlever les substances rendant l’eau non potable (selon les normes en vigueur) il pourrait également concentrer d’autres substances toxiques pour la santé humaine qui sont pour le moment ignorées.4 Deuxièmement, le traitement local de l’eau, comme à Grenoble à la Tour ABC expérimentale, nécessite des investissements colossaux pour réduire les rejets. Malgré l'absence de retour sur l'efficacité de ces structures, on peut tout de même questionner leur impact sur le prix du bâti et le coût de maintenance de la domotique. Ces bâtiments sont neufs et conçus pour répondre à des enjeux actuels5 mais leur entretien et rénovation sont très coûteux. Ils risquent de rester limités aux plus riches et, de par leur caractère individuel, ne permettent pas les économies d’échelle et la socialisation des coûts propres aux réseaux publics collectifs.

L’Andalousie, et 'la mer de plastique d’Almeria', est présentée comme l’exemple repoussoir, avec surexploitation des nappes et puits illégaux. Mais la critique de l’économie mondialisée est à peine abordée.  La culture intensive en Andalousie s’est principalement développée grâce à l’« avantage comparatif climatique» qui permet aux fruits et légumes andalous d’être présents sur le marché une grande partie de l’année. C’est le point de départ de la culture sous serre en Andalousie qui permet à la région d’exporter plus des trois quarts de sa production.6 La capacité des consommateurs à faire évoluer des pratiques commerciales, mise en avant par un  reste discutable au vu de la capacité d’adaptation du modèle. Le développement du greenwashing en est la preuve. Aujourd’hui un fruit ou un légume peut être commercialisé avec le label HVE (Haute Valeur Environnementale) sans pour autant qu’il y ait eu réduction de la consommation en eau pour sa production.7 Cependant les grandes surfaces sont sensibles à leur image et peuvent aussi agir auprès de leurs partenaires pour une meilleure transparence et une mise en conformité avec les lois. C’est la tâche des collectifs de consommateurs qui enquêtent et rapportent les actions de ces organismes.

Ce reportage, d’excellente facture technique, est agréable à regarder. Par la multiplicité des thèmes abordés il est informatif et maintient l’attention du spectateur. Toutefois il se révèle décousu, sans fil directeur très clair.  Le mot de la fin -"Inventer de nouvelles pratiques, recycler, partager; l’eau est à tout le monde, il faut que chacun puisse en bénéficier"- sonne un peu comme un vœu pieux agrémenté, tout au long du reportage, de présentations d’innovations techniques qui peuvent, sans doute à tort, laisser penser qu'elles seront suffisantes pour répondre à la surexploitation et au changement climatique.

Avec la contribution de Jessica Dublin et Paul Gautier de Lahaut

 

Autres films

La guerre des bassines https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/314-guerreb

Eaux usées : cocktail toxique ou précieux https://www.water-alternatives.org/index.php/cwd/item/310-reuse

 

Référence bibliographiques :

Article L210-1 - Code de l’environnement - Légifrance. Accessed November 3, 2022. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043975388

Préfecture de Tarn et Garonne. Arreté Préfectoral Portant Réglementation Des Bruits de Voisinage.

Oules O. 2018. Canons anti-grêle : “Le bruit est devenu insupportable.” ladepeche.fr. Published June 16, 2018. Accessed November 3, 2022. https://www.ladepeche.fr/article/2018/06/19/2820849-canons-anti-grele-le-bruit-est- devenu-insupportable.html

Barbier R. 2009.Le buveur d’eau et le recyclage des eaux usées. Espac Sociétés. 2009;139(4):107- 121. doi:10.3917/esp.139.0107

Chauvot M. A. 2021. Grenoble, Bouygues teste un immeuble vert et autonome. Les Echos. Published August 17, 2021. Accessed November 3, 2022. https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/a-grenoble-bouygues-teste- un-immeuble-vert-et-autonome-1339268

Roux B. 2010. Chapitre 5 - Les modalités du développement des cultures intensives sous abri en Andalousie. Éditions Quæ; 2010. Accessed November 5, 2022. https://www-cairn- info.ezpum.scdi-montpellier.fr/agricultures-et-paysanneries-du-monde-- 9782759206445-page-103.htm

Caselegno E. 2022. Label Haute valeur environnementale – Greenwashing de l’agriculture…. Accessed November 5, 2022. https://www.quechoisir.org/actualite-label-haute-valeur- environnementale-greenwashing-de-l-agriculture-intensive-n87083/

Libération, AFP. 2022. Sécheresse: les pays de l’UE doivent réutiliser les eaux usées dans l’agriculture. Libération. Accessed November 5, 2022. https://www.liberation.fr/environnement/climat/secheresse-les-pays-de-lue-doivent- reutiliser-les-eaux-usees-dans-lagriculture- 20220803_4NWTEKJO6VBIVBQODEMLOSUQYY/

France inter, le 6/9 du week end, entretien avec le ministre à 8h20, podcast du 29 oct., : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-6-9/le-6-9-du-samedi-29-octobre- 2022-4950252

FAOSTAT analytical brief 41 Agricultural production statistics 2000–2020 (pdf disponible)        https://www.fao.org/faostat/en/#data/QCL

 

Additional Info

  • Director: -
  • Producer: ARTE
  • Language: French
  • Subtitles: English, Spanish, German
  • Year: 2020
  • Duration (min): 53
  • Theme: Water scarcity, Irrigation & agricultural water management, Water quality, pollution, Groundwater, Drought, Sustainability
  • Access: Free
  • Country: France
  • Technical quality (star): Technical quality (star)
  • Academic interest (star): Academic interest (star)
  • Societal interest (star): Societal interest (star)
  • Technical quality: 4.5
  • Academic quality: 3
  • Social interest: 4